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Après avoir repris son souffle, Jonas révéla au gardien la macabre découverte. Il expliqua avoir d’abord confondu le corps avec un sac abandonné ou un détritus. Interloqué, Castellaro songea à un malheureux alpiniste victime d’un accident. Après s’être enquis de l’état de la jeune femme, avoir constaté qu’elle était encore sous le choc et victime de quelques contusions sans gravité, il interrogea son compagnon pour déterminer plus précisément où gisait la victime.
Le refuge était situé en Italie, mais d’après les indications de Jonas, le corps devait se trouver à proximité de la frontière avec l’Autriche. Impossible de définir avec exactitude de quel côté. Dans le doute, Castellaro décida d’informer à la fois les carabiniers italiens et les gendarmes autrichiens. Les premiers décidèrent de laisser la main à leurs voisins.
Les secouristes autrichiens, eux, ne pourraient arriver que le lendemain midi. Pourquoi courir un risque inutile ? Le temps de mobiliser un hélicoptère et de rejoindre la zone indiquée, le soleil serait couché, leurs investigations entravées. Vu l’état du corps tel que le couple de randonneurs l’avait décrit, l’urgence semblait très relative : le pauvre homme prisonnier des glaces n’était plus à un jour près.
Castellaro fronça les sourcils, contrarié. Il avait respecté la procédure et n’avait rien à se reprocher. Mais en son for intérieur, il n’avait pas l’esprit tranquille. Le mort s’était forcément aventuré seul en montagne. Sinon, comment expliquer que l’accident n’ait pas été signalé ? Peut-être s’agissait-il d’un alpiniste solitaire qui avait surestimé ses forces et n’avait pas informé ses proches de son projet d’escalade en montagne. Cela expliquerait aussi pourquoi les secours n’avaient pas été alertés. D’ailleurs, aucune disparition n’avait été signalée dans la zone. Castellaro pensa à la famille du disparu, forcément rongée par l’absence de nouvelles et dans l’incapacité de faire son deuil.
Sa mission principale consistait à accueillir et à orienter randonneurs débutants et alpinistes chevronnés. Mais le gardien avait aussi conscience des contraintes liées à sa fonction : une vie rude, l’absence de confort et des horaires variables. Cela lui était égal. L’essentiel était ailleurs. S’il se montrait soucieux du bien-être de ses hôtes et de la promotion de sa région, il restait avant tout un homme passionné, un amoureux de sa montagne et des valeurs qui s’y rattachaient et qu’il aimait transmettre : authenticité, convivialité, entraide. Des valeurs qui se perdaient dans les centres urbains au profit de l’égoïsme et de l’entre-soi. La conscience de Castellaro lui dictait de ne pas attendre sagement l’arrivée des secours. Un cadavre venait d’être retrouvé. La moindre des corrections, à défaut de lui rendre un digne hommage, était de tenter d’en savoir plus sur lui. Et donc, de faciliter le travail des secours. Le gardien espérait obtenir un début de réponse en fouillant les lieux. Un élément à proximité du corps, une carte d’identité par exemple, permettrait de lui donner un nom. Un nom pour un homme mort dans l’anonymat et peut-être même l’indifférence. La montagne se montrait parfois cruelle en recouvrant d’un blanc manteau la trace des hommes égarés. Mais pour ceux dont le nom laissait place au souvenir ou sombrait dans l’oubli, elle demeurait leur dernier sanctuaire.
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