Extraits

- Comment a-t-il pu convaincre autant de personnes ? Il ne s’agissait pas de jeunes « paumés », vivant en marge de la Société, cherchant une bouée de sauvetage ou un but à leur vie. C’était des gens aisés, ayant reçu une bonne éducation et possédant de bonnes situations…

- Pourquoi rejoint-on une secte ? Ou tout simplement pourquoi adhère-t-on à une religion ? Car il faut admettre que la limite entre les deux est parfois très floue… Besoin de croire en une puissance supérieure, en un monde meilleur… Besoin de trouver un guide, capable de vous montrer la voie et de répondre à toutes les questions que l’on peut se poser… Besoin de s’identifier par rapport à un groupe, d’appartenir à une sorte de « famille »… Les motivations sont nombreuses et complexes. Elles varient pour chaque individu. Charles de Rivera était fou, certes, mais il était brillant. Intelligent, cultivé, riche, et surtout doté d’un très fort charisme, d’après les gens qui l’ont côtoyé. Avec ce pouvoir dont il disposait, il suscitait la crainte et l’admiration. Il avait fini par se considérer lui-même comme un être au-delà du commun des mortels. Puis par en convaincre nombre de ses adeptes. Notre société est loin d’être parfaite, tout le monde le sait. Lui leur proposait une solution pour remédier à tous ces maux, pour créer un monde meilleur.

- Êtes-vous croyant ? Croyez-vous qu’il existe une vie après la mort ? Car c’est là que se situe la force de Charles de Rivera. Il possède des pouvoirs infinis : dans le monde des vivants, bien sûr, mais pas seulement… Je ne suis pas certain que même sa mort puisse mettre un terme à ses projets.

La peur était présente dans sa voix, lorsqu’il termina.

- Il faut savoir qu’il existe pire que la mort, Monsieur Lehmann. Ils peuvent transformer en enfer la vie de ceux qui les ont trahis. Si vous avez le malheur d’éprouver des sentiments vis-à-vis de certaines personnes, ils s’en serviront comme moyen de pression pour obtenir ainsi votre complète soumission. Aujourd’hui, la seule personne qui me reste est mon père. J’ignore si Charles de Rivera peut l’atteindre ou non dans l’état où il se trouve. Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’essayer.

De retour dans la loge de Peter, les trois jeunes gens sortirent une bière avant de s’asseoir dans les fauteuils.

- Les dés sont jetés, annonça Peter en levant sa bouteille. Pas de regrets ?

Les deux autres se contentèrent de hausser les épaules.

- Reste à savoir quelle va être leur réaction, maintenant…

- Je pense qu’on ne devrait pas tarder à le savoir, glissa Gregory avec un sourire ironique.

Lorsqu’ils entendirent quelqu’un frapper sans ménagement à la porte, ils échangèrent tous trois un regard. Ils ne furent guère surpris de voir Charles de Rivera pénétrer dans la pièce, son visage déformé par la colère.

- Vous êtes finis, annonça-t-il froidement.

- Le Groupe est fini, répondit Peter. C’était son dernier concert ce soir. Qu’avez-vous pensé de notre chanson d’adieu ? Le public en tout cas a eu l’air de l’apprécier énormément. Je ne doute pas que ce sera le tube de cet album…

Il marqua une légère pause, avant de poursuivre d’un air moqueur.

- Oh, pardon, nous avions complètement oublié de vous faire part de nos réflexions à ce sujet… Nous avons été tellement débordés, ces derniers temps. Mais rien dans notre contrat nous obligeait à le faire, n’est-ce pas ?

- Je pense que vous n’avez pas pris conscience de la gravité de vos actes… Est-ce que vous avez réellement expliqué la situation à vos collègues, Peter ? Car c’est bien de vous que vient cette idée, n’est-ce pas ?

Peter haussa les épaules.

- Vous n’avez jamais semblé réaliser que nous avons toujours été trois à décider, Charles. C’est plutôt curieux…

Charles de Rivera jeta un œil méprisant sur les deux musiciens, avant de fixer à nouveau le chanteur d’un regard rempli de haine.

- Vous allez le payer très cher, Peter. Attendez-vous à vivre un enfer.

Le froid glacial qui annonçait sa présence ne mit guère de temps à se faire ressentir.

- Tu ne pourras pas nous résister éternellement, Jérémy. Accepte-le et reviens dans le Cercle.

- Jamais !

- Ne nous oblige pas à venir te chercher, et à rencontrer ta gentille petite famille. Il serait peut-être dommage que nous nous approchions trop d’elle, tu ne crois pas ?

- Jamais ! Jamais je ne vous laisserai leur faire du mal !

Il avait crié dans son sommeil, et la sensation d’une main qui le secouait finit par le réveiller. Gabrièle se tenait assise sur le bord du lit. Elle le regardait d’un air inquiet.

- Que se passe-t-il, Jérémy ? Tout va bien ?

Il secoua la tête et se mit à pleurer doucement, pendant qu’elle le prenait dans ses bras pour le réconforter.

- Parle-moi, Jérémy, tu peux me faire confiance.

- Je sais… Mais s’il te plaît, ne pose pas de questions…

Elle observa un moment le garçon, avant de lui demander d’une voix douce et chevrotante.

- C’était si horrible que ça ?

Jérémy sursauta. Jamais il n’avait évoqué avec elle son passé ou sa vie. Pas plus avec elle qu’avec qui que ce soit d’autre, d’ailleurs.

- Je suis vieille, Jérémy, mais pas aveugle… J’ignore qui tu fuis, j’ignore ce qu’ils t’ont fait, et cela ne me regarde sans doute pas. Mais je suis triste de voir quelqu’un comme toi vivre de cette manière. Tu es courageux, tu es instruit. Et surtout tu possèdes un cœur… Ta place n’est pas ici. Si tu décides de continuer dans cette voie, de vivre comme un SDF, c’est eux qui auront gagné. Promets-moi de te battre, d’essayer de t’en sortir… Tu as toute ta vie devant toi, et tu mérites mieux que ça…