Extraits

C’est une pénible pensée que d’être l’obligé d’un homme dont on avait si piètre opinion.

Ilya [...] se montrait calme et apaisant dans les discussions, il harmonisait toujours les choses avec ses "d'un côté" et "de l'autre". Et il disait à Olga :

"Tu comprends, Olga, n'importe quelle position rend bête. Il ne faut pas s'en tenir à un seul point de vue. Même un tabouret, ça tient sur quatre pieds !"

Il avait passé tant d'années à étudier le marxisme, à essayer de comprendre pourquoi les magnifiques idées de justice sociale s'incarnaient de façon si bancale ! Mais là ! tout devenait d'une clarté glaciale : un mensonge grandiose et cynique, une cruauté inconcevable, une manipulation éhontée opérée par des hommes qui avaient perdu tout visage humain et toute dignité à cause de cette peur qui enveloppait le pays tout entier d'un nuage noir. Ce nuage, on pouvait l'appeler "stalinisme", mais Micha devinait déjà que le stalinisme n'était qu'un cas particulier d'un mal gigantesque, international, intemporel, celui du despotisme politique.

Notre histoire à nous, les Russes, est exécrable, cela ne fait aucun doute, mais ces temps-là n’ont pas été les pires, il y avait de la place pour la noblesse, la dignité et le sens de l’honneur.

Véra fixait la vitre noire dans laquelle elle ne voyait que son propre reflet flou. Elle aussi, elle savait que la conscience travaille contre la survie. Oui, l’évolution biologique de l’espèce balaie ceux qui possèdent une conscience vivante. Ce sont les plus forts qui survivent.

La guerre est la chose la plus infâme que les hommes aient jamais inventée !

En Russie, toute la puissance, toute l’intelligence de nos chercheurs est consacrée à la conception de fusées spatiales et de centrales nucléaires, mais eux, ils s’occupent de fabriquer des ouvre-boîtes ! Qu’est-ce que tu veux... ! Ils sont bien, leurs ouvre-boîtes, il n’y a pas à dire...

Une mort due à un cancer était plus facile à comprendre qu’une guérison par des méthodes si arriérées que c’en était inconvenant.

D'ailleurs étaient-ils si nombreux ces gens qui ne se connaissaient pas entre eux, qui se croisaient das les halls des bibliothèques, dans les vestiaires de la Philoarmonie et dans le silence des musées déserts? Ce n'était pas un parti, ni un cercle ni une société secrète, pas même un groupe de gens ayant les mêmes idées. Leur seul dénominateur commun était leur aversion pour le stalinisme. Et bien sûr, la lecture. Une lecture vorace, éperdue, obsessionnelle, -un hobby, une névrose, une drogue. Pour beaucoup, de maître à vivre, le livre était devenu un substitut de la vie.

Ils avaient ressenti en même temps à quel point c’était bien : la confiance, l’amitié, l’égalité... Il n’était pas question de supériorité entre eux, bien au contraire, chacun présentait le même intérêt pour les deux autres.