Extraits

Tijuana, Honolulu, Oslo et une demi-douzaine d'autres villes seraient concernées par les prochaines expansions des Réserves extraterrestres. Cinquante ou soixante mille Surveillés, permanents ou temporaires, devraient déménager pour que ces villes soient plus «sûres» pour à peine un millier d'extraterrestres. Ce n'était pas une épreuve si terrible en réalité, bien sûr. La majeure partie de la Terre était encore interdite aux E.T. et il restait encore beaucoup de place pour les non-Citoyens. Et puis le gouvernement offrait de larges indemnisations. Mais une fois de plus, il y avait des réfugiés sur la Terre

Mais les choses étaient en train de changer. En roulant vers le sud sur l'autoroute aérienne, au volant de sa voiture de location, Jacob constata à certains signes que la Ceinture retournait à sa destination première. Des équipes travaillaient de chaque côté de la route, abattant des arbres et érigeant de minces poteaux rayés comme des sucres d'orge tous les cent mètres, à l'est et à l'ouest. Ces poteaux étaient infâmes. Il détourna les yeux

Un dauphin fatigué se laissa dériver jusqu'au bord de la piscine quand il arriva. Makakai l'accueillit par un poème en trinaire trop rapide pour qu'il puisse le saisir, mais qui lui sembla amicalement obscène. Quelque chose à propos de sa vie sexuelle. Les dauphins avaient raconté des plaisanteries licencieuses aux hommes pendant des milliers d'années avant que ceux-ci ne se mettent enfin à les éduquer au langage humain et ne commencent à comprendre. Makakai était peut-être beaucoup plus intelligente que ses ancêtres, se dit Jacob, mais son sens de l'humour demeurait strictement celui d'un dauphin. « Eh bien, dit-il. Devine qui a eu une journée fatigante. » Elle l'éclaboussa, plus faiblement que d'habitude, et dit quelque chose qui ressemblait beaucoup à: « T'faire f-f-foutre ! » Mais elle se rapprocha quand il s'accroupit et plongea sa main dans l'eau pour lui dire bonjour

«Très bien, soupira-t-il. Tu as gagné, Fagin. Je serai là. Mais ne compte pas faire de moi la vedette du spectacle. » Le rire sifflant de Fagin évoquait un instrument à vent. « Ne te fais aucun souci à ce sujet, Ami Jacob! Dans le spectacle en question, personne ne te prendra pour la vedette ! » Le soleil était encore au-dessus de l'horizon quand il traversa le pont supérieur pour gagner les quartiers de résidence de Makakai. Il apparaissait, d'un orange sourd parmi les nuages épars à l'ouest - globe bénin, sans caractère. Jacob s'arrêta un moment contre la rambarde pour savourer les couleurs du couchant et l'odeur de la mer

Il connaissait Fagin. S'il assistait à cette réunion, le Kanten essaierait sans doute de s'en servir comme moyen de pression, pour l'obliger à s'engager dans quelque aventure dangereuse et ridiculement compliquée. L'extraterrestre lui avait déjà joué ce tour à trois reprises dans le passé. Les deux premières fois, Jacob n'y avait pas attaché d'importance. Mais il était quelqu'un de différent à l'époque, du genre qui aimait ces situations-là. Puis il y avait eu l'Aiguille. Le trauma survenu en Équateur avait changé sa vie du tout au tout. Il n'avait nul désir de revivre semblable expérience

Jacob se fit aussitôt suspicieux. « Dis, ce " problème" n'est pas politique, hein ? Tu es affreusement cachottier. » L'image de l'extraterrestre était pari immobile. Sa masse verdoyante frémissait le comme s'il se trouvait en méditation. « Je n'ai jamais compris, Jacob, reprit enfin la voix flûtée, pourquoi un homme de ton éducation accorde si peu d'intérêt à cette combinaison d'émotions et de besoins que tu appelles "la politique". Si l'image était appropriée, je dirais que j'ai la politique "dans le sang". Tu l'as certainement dans le tien

Jacob fronça les sourcils. Malheureusement, c'était vrai. Et désormais son travail au Centre de l'Élévation serait encore plus routinier. Une centaine d'experts, certains plus qualifiés que lui dans la delphipsy, attendaient à la porte. Le Centre le garderait probablement, en partie par gratitude, mais avait-il vraiment envie de rester? Quel que fût son amour de la mer et des dauphins, il devenait de plus en plus impatient depuis quelque temps. « Fagin, je regrette d'avoir été aussi impoli au début. J'aimerais connaître la raison de ton appel... à condition que tu comprennes que la réponse demeure probablement : Non. » Le feuillage de Fagin bruissa

Les cristaux tintèrent doucement. « Jacob! Tu es si jeune et cependant si perspicace ! J'admire ton intuition et ta capacité à deviner le but de mon appel! » Jacob secoua la tête. « Ni flatteries ni sarcasmes soigneusement voilés, Fagin ; j'insiste pour parler en langue familière avec toi, parce que c'est la seule façon pour moi d'avoir une chance de ne pas me faire posséder. Et tu sais très bien de quoi je parle! » L'extraterrestre s'ébroua, parodiant un haussement d'épaules

Une ligne en binaire apparut sur l'écran, indiquant l'emplacement du poste portatif qu'il appelait. La Réserve E.T. de Baja. Ça se tient, pensa Jacob. C'est là que se trouve la Bibliothèque. Suivit l'avertissement habituel concernant les contacts entre extraterrestres et Personnalités Surveillées. Jacob détourna les yeux avec dégoût. Des parasites lumineux remplirent l'espace au-dessus des couvertures et devant l'écran, puis Fagin se dressa, en réplique, à quelques centimètres de lui. L'E.T. ressemblait bel et bien à un brocoli géant. Des pousses arrondies, bleues et vertes formaient des excroissances sphériques et symétriques autour d'un tronc strié et noueux. Ici et là, de minuscules flocons cristallins garnissaient l'extrémité de certaines branches et formaient un agglomérat vers le sommet, autour d'un évent invisible. Le feuillage s'agita et les cristaux du sommet tintèrent au passage de l'air exhalé par la créature

Hum... Il va falloir que j'appelle quelqu'un. Je ferai la vaisselle plus tard, alors, n'y touche pas ! Dis à Manfred et à Johnny que je descendrai dans un petit moment rendre visite à Makakai. Et merci encore. » Il sourit et lui effleura l'épaule. Mais, quand il se détourna, son expression redevint vite soucieuse. Il descendit par l'écoutille avant, serrant le message dans sa main. Gloria le suivit des yeux un instant. Elle ramassa les diagrammes et regretta de ne pas savoir ce qu'il fallait faire pour capter l'attention de cet homme plus d'une heure, ou d'une nuit