Extraits

Prologue

Flash Informations TVFL – Mardi 17 juin

Les talons aiguilles noirs d’Aurélia claquèrent sur les pavés gris et larges du parvis de la basilique Notre-Dame de Fourvière lorsqu’elle descendit de sa voiture, presque en courant. Elle manqua de se tordre une cheville, mais ne fit pas attention à la douleur qui lui vrilla les nerfs. Ce qui l’attendait à quelques mètres de sa position lui importait trop pour qu’elle accorde du crédit à une souffrance éphémère. Elle n’avait même pas pris le temps de se garer correctement, elle devait d’abord voir cela de ses propres yeux. Elle peinait à croire que les faits soient réels.

Et pourtant…

Lorsqu’elle leva la tête, elle sut qu’elle n’oublierait jamais cette vision.

Quelqu’un avait volé la fabuleuse statue en bronze recouverte de feuilles d’or, au sommet de l’immense édifice religieux, perché au bord de la célèbre colline. L’exploit, d’apparence irréalisable, s’était bien produit, en attestait le socle vide, désormais dépourvu de sa Vierge Marie dorée, qu’elle observait avec curiosité et ébahissement.

Aurélia secoua la tête, persuadée de rêver. Ses longs cheveux blonds ruisselaient sur ses épaules, jusqu’à la moitié de son dos. La légère brise lui envoya des mèches sur le visage, lui chatouillant les joues.

C’est démentiel… pensa-t-elle en prenant conscience de la situation, la bouche grande ouverte, abasourdie.

Personne ne pouvait avoir commis un tel sacrilège, avoir osé voler un monument sacré du patrimoine historique de la ville. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine. Elle le sentait contre sa cage thoracique, comme s’il voulait s’en extraire. Une douleur pulsait dans sa cheville droite, qu’elle frotta furieusement pour la dissiper, au point de rougir sa peau. Elle se reprit, consciente que le scoop de l’année l’attendait. Diffuser en direct les premières investigations la propulserait au sommet de sa carrière, déjà florissante. Elle saisirait sa chance avant que quelqu’un d’autre ne la lui vole.

Elle avait hésité à répondre au téléphone le matin même, à peine une heure auparavant. La sonnerie avait résonné dans tout l’appartement, la sortant du profond sommeil dans lequel elle était plongée, emmitouflée sous sa couette. Elle aurait voulu fracasser son portable contre la vitre pour ne plus l’entendre et replonger dans les méandres du sommeil. Pourquoi sonnait-il donc, alors qu’elle était de repos, aujourd’hui ? Cela n’avait aucun sens… notamment sur son appareil de travail… et pourtant. Elle avait décroché quand même, répondant sur un ton sec pour montrer son mécontentement. Son patron, au bout du fil, lui avait expliqué la situation, la sommant de retrouver Chris, son caméraman, sur la colline de Fourvière, car l’impensable venait de se produire. Jamais une telle chose n’était survenue ici, dans cette ville.

La jeune femme avait sauté dans ses vêtements, ne prenant même pas le temps de se maquiller ou de se coiffer. Il fallait qu’elle soit la première à immortaliser l’évènement qui la remettrait sur le devant de la scène.

Une effervescence impressionnante résonnait sur le parvis, où de nombreux policiers, pompiers et techniciens scientifiques s’étaient réunis. Chacun cherchait le moindre indice menant aux voleurs. Dans l’esprit d’Aurélia, cela ne faisait pas de doute : ils avaient agi à plusieurs. Jamais une personne seule n’aurait pu réaliser une telle folie sans se faire prendre. La Police Technique et Scientifique, ou plus simplement PTS, allait forcément trouver quelque chose. Personne ne disparaissait sans laisser de trace.

D’après les premières informations données par son patron, une carte de visite ornée de la planète Uranus avait été retrouvée plantée sur une pique à côté d’un petit tas de poussière étincelant d’un bel éclat marron, sur le socle vide. Le logo en forme de planète bleue tournait dans son esprit, tandis qu’elle essayait de comprendre le message que voulaient laisser derrière eux les « Invisibles ». Son supérieur les avait surnommés ainsi.

La jeune femme s’avança jusqu’aux barrières de métal, disposées partout autour de la basilique pour empêcher les curieux de s’avancer davantage et de piétiner la scène du crime. Elle envoya un signe de la main à Chris, son caméraman, pour qu’il commence à tourner. Le lourd appareil noir à l’objectif brillant, posé sur l’épaule du jeune homme brun, se braqua sur Aurélia. L’œil ébène capta les rayons du soleil plombant de ce mois de juin, éblouissant la journaliste.

— Ça tourne ! lança Chris en lui faisant un geste du pouce.

Aurélia se redressa, puis plaqua un sourire sur sa bouche. Elle avait juste eu le temps de se passer un coup de rouge à lèvres pour paraitre un peu plus présentable.

— Ici Aurélia Vern pour TVFL ! Nous sommes en direct de Fourvière, où la célèbre statue de la Vierge Marie de la basilique vient d’être dérobée. Pour le moment, les seules informations dont dispose la police sont une carte ornée d’un logo au nom du Gang d’Uranus et de deux cordes attachées au pilier de l’échafaudage. Y a-t-il un lien avec l’attentat perpétré par Certial ? énonça-t-elle, son micro à la main. Est-ce un message de la part de justiciers, désireux de vengeance ? On connait tous la passion du directeur de Certial pour cette basilique. Nous allons d’ailleurs aller l’interroger sans tarder.

Elle grimpa les quelques marches menant à la place, puis s’avança vers le portail bleu, gardé par plusieurs policiers et soldats en uniforme, armés jusqu’aux dents. Ils se tenaient droits et s’assuraient que personne ne traverse en direction de la bâtisse. Malheureusement pour la plupart des touristes, l’édifice religieux fermerait un bon moment, au vu des évènements.

— Vous ne pouvez pas passer, Mademoiselle, indiqua l’un d’entre eux en se plaçant devant la porte en fer forgé.

Aurélia eut un mouvement de recul.

— S’il vous plaît… demanda-t-elle. Les habitants de Lyon ont le droit de savoir ce qui se passe près de chez eux.