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Un dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D’un bout à l’autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m’a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu’un couple homosexuel.
Afficher en entierSoumis à la précarité et à l'indigence des étudiants pauvres — ses parents endettés vivaient en proche banlieue parisienne sur un salaire de secrétaire et un contrat emploi solidarité — il n'achetait que les produits les moins chers ou en promotion, de la Vache qui rit en portions et du camembert à cinq francs. Il allait jusqu'à Monoprix acheter sa baguette de pain parce qu'elle coûtait cinquante centimes moins cher qu'à la boulangerie voisine. Il avait spontanément les gestes et les réflexes dictés par un manque d'argent continuel et hérité. Une forme de débrouillardise permettant de s'en sortir au quotidien. Rafler, dans l'hypermarché, une poignée d'échantillons de fromage dans l'assiette tendue par la démonstratrice. A Paris, pour pisser sans payer, entrer avec détermination dans un café, repérer les toilettes et ressortir ensuite avec désinvolture. Regarder l'heure aux parcmètres (il n'avait pas de montre), etc. Il jouait au Loto sportif chaque semaine, attendant, comme il est naturel au cœur de la nécessité, tout du hasard : « Je gagnerai un jour, c'est forcé. » En fin de matinée, le dimanche, il regardait Téléfoot avec Thierry Roland. Le moment juste où le footballeur marque un but et où toute la foule du Parc des Princes se lève, l'acclame, était pour lui l'image du bonheur absolu. Cette pensée lui donnait même des frissons.
Afficher en entierNotre relation pouvait s’envisager sous l’angle du profit. Il me donnait du plaisir et il me faisait revivre ce que je n’aurais jamais imaginé revivre.
Afficher en entierLes dimanches après-midi où il bruinait, nous restions sous la couette, finissant par nous endormir ou somnoler. De la rue silencieuse s’élevaient les voix de rares passants, souvent des étrangers d’un foyer d’accueil voisin. Je me re-sentais alors, à Y., enfant, quand je lisais près de ma mère endormie de fatigue, tout habillée sur son lit, le dimanche après manger, le commerce fermé. Je n’avais plus d’âge et je dérivais d’un temps à un autre dans une semi-conscience.
Afficher en entierÀ la différence du temps de mes dix-huit, vingt-cinq ans, où j’étais complètement dans ce qui m’arrivait, sans passé ni avenir, à Rouen, avec A., j’avais l’impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse.
Afficher en entierIl m’arrachait à ma génération mais je n’étais pas dans la sienne.
Afficher en entierChez moi, il endossait le peignoir à capuche qui avait enveloppé d’autres hommes. Lorsqu’il le portait, je ne revoyais jamais l’un ou l’autre d’entre eux. Devant le tissu-éponge gris clair j’éprouvais seulement la douceur de ma propre durée et de l’identité de mon désir.
Afficher en entierUn dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D’un bout à l’autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m’a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu’un couple homosexuel.
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