Extraits

Ranulf était désorienté. Depuis de longues années maintenant, il s’estimait satisfait, à défaut d’être heureux. Il y avait toujours eu des femmes pour lui offrir leur corps, même si trop souvent il avait eu le sentiment qu’il n’était qu’une conquête pour elles, qu’elles désiraient seulement se vanter d’avoir connu l’étreinte du Lion noir. Ranulf ne s’était jamais fait d’illusion sur son statut à la cour du roi Edward. Des onze comtes, seuls deux étaient jeunes et célibataires : son meilleur ami, Dacre de La Saunay, et lui-même. Beaucoup de courtisanes étaient prêtes à vendre leur âme pour devenir comtesse. Pourtant, malgré toutes leurs manœuvres de séduction, aucune ne l’avait jamais fait rire.

Il songea aux yeux clairs de Lyonine, étincelants dans le froid, à ses joues rougies. Et surtout, il pensa à son rire. Pendant quelques minutes, il avait oublié ses responsabilités… et son passé. Oui, pendant un bref moment, il n’avait plus été hanté par Isabel.

Cela faisait longtemps que Ranulf ne s’était pas senti aussi bien accueilli dans un château. Seule Eleanora, la reine, pouvait le mettre aussi à l’aise que cette dame Melite. Et si la mère avait sans doute été une belle femme, sa fille Lyonine était une véritable splendeur. Elle gardait la tête baissée, aussi ne pouvait-il voir ses traits, mais rien que son épaisse chevelure bouclée qui lui tombait sous les reins était digne d’inspirer des chansons aux troubadours. D’un blond sombre, fauve, on aurait dit une cascade sur laquelle miroitaient les reflets des flammes. Sa silhouette était soulignée par sa tunique ajustée : une taille fine, des hanches rondes, une poitrine ravissante. Il en avait la gorge sèche. Il ne se souvenait pas d’avoir jamais été aussi affecté par la vision d’une femme.

Redoutant le pire, Lyonine leva enfin un regard timide vers Ranulf de Warbrooke. Il était brun, très brun, avec des yeux aussi noirs que du charbon et une chevelure folle que rien ne semblait pouvoir discipliner. Il était aussi très grand : elle ne lui arrivait même pas à l’épaule.