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Assis sur une chaise dans les gradins, Dorian fixait le chœur de l’église d’un regard vide. L’autel et l’ensemble du matériel ecclésiastique avaient disparu depuis belle lurette. En lieu et place du matériel d’office, une scène surélevée occupait tout l’espace. Dorian n’avait aucune idée du genre de spectacle qu’on organisait habituellement à cet endroit, mais une chose était certaine, cela n’avait rien à voir avec l’horreur qui l’attendait au-delà de la porte d’entrée.
— C’est quelque chose, hein ? dit Brian Prévereau en se laissant choir sur la chaise voisine de celle de son collègue.
— Jamais vu une chose pareille. Tu as terminé les photos ?
— Ouais. Reste à attendre Vandal. Il devrait pas tarder. Ça lui fait quand même deux morts en moins de deux semaines. D’après toi, il est payé au cadavre notre coroner ?
— Je ne crois pas. Avec le peu d’homicides qu’on voit dans la région, il serait obligé de se trouver un poste à temps partiel dans la restauration rapide pour boucler les fins de mois.
— Blague à part, Dorian, tu m’as l’air en pièces détachées, ce matin. Je peux faire quelque chose pour toi ?
— Non, rien, Brian. C’est juste que…
— Elle te rappelle Déline, c’est ça ?
Silence.
— Tu as remarqué, toi aussi ? fit Dorian en se tournant vers son collègue.
— On dit qu’on a chacun quelques sosies dans le monde. Déline ne doit pas échapper à la règle. Ce qui est étonnant, c’est que l’un d’entre eux vienne se faire tuer par ici. Est-ce que tu as vu son expression ?
— C’est à n’y rien comprendre. ‘Jamais vu une telle sérénité sur le visage d’un mort. À la regarder, on croirait que cette femme a quitté ce monde en prenant un bain parfumé à la lavande…
— C’est pourtant loin d’être le cas, l’interrompit Prévereau. La pauvre a été torturée, écartelée et je ne sais quoi d’autre sous le prétexte d’un meurtre rituel. Tu as vu tout ce sang autour ? J’arrive pas à comprendre comment des gens peuvent faire des choses pareilles. Quand je pense que j’ai du mal à écraser un insecte sous ma chaussure.
Et d’autres…
Le grincement de la porte mal huilée qui s’ouvrit en coup de vent coupa court à la conversation. Verdon et Prévereau se retournèrent juste à temps pour voir Normand Vandal, qui cumulait les postes de coroner et légiste, franchir le seuil de la porte.
— Salut les gars. Désolé pour le retard, je n'ai pas pu faire mieux. Il y a eu un décès cette nuit, crise cardiaque, soixante et un ans. Vous imaginez ? Le gars ne profitait de sa retraite que depuis deux ans ! Des fois, je me dis que… Oh ! s’exclama-t-il soudain en relevant la tête. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? On dirait…
— Un rituel satanique, fit Dorian en se levant de sa chaise. Je dois vous quitter les gars. J’ai ma petite idée sur la Tandis qu’il sortait, il entendit Vandal s’exclamer de nouveau :— Hein ? T’as vu ça Brian ? La femme, elle…
Mais Dorian se fichait royalement de ce que pouvait dire Vandal. uNe qui pourrait m’éclairer à ce sujet.
Il s’en moquait au moins autant que des gémissements de violon désaccordé qui émanaient des charnières usées de la porte qui se refermait derrière lui. Dans son regard brillait une lueur obscure. Suffisamment obscure pour que les ambulanciers qui attendaient les ordres du coroner ne lui adressent pas la parole. Quelques pas plus loin et un tour de clé plus tard, la Crown Victoria quittait le parking de la chapelle.
Dorian roula quelques minutes avant se décider à jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. La chapelle avait disparu. Il écrasa les freins, se rangea en bordure de la route et sortit de la voiture. Il ne voyait plus rien. Son visage n’était plus qu’un masque de larmes et de douleur.
— Pourquoi ça et pourquoi moi, Seigneur ? J’ai pas déjà suffisamment souffert ?
Il s’épongea les yeux, rentra dans sa voiture puis redémarra. Un visage l’obsédait. Pas celui de sa femme défunte ou celui de cette pauvre femme qui lui ressemblait trait pour trait, mais plutôt celui d’un cinglé qui l’obnubilait. Un cinglé qui se prenait pour un ange.
— Attends que je te retrouve, mec, et tu vas aller les rejoindre, tes anges.
Sur ce, Dorian Verdon enfonça l’accélérateur. Les grognements du moteur se saoulant à l’essence le calmaient.
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