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Chen Zhen découvrit soudain à l'extrémité de sa longue-vue un énorme loup dont les yeux semblaient le transpercer. Immédiatement, il eut la sensation qu'on lui lacérait sa chemise, et un long frisson secoua tout son corps. Il perçut la sueur exsudée par chacun de ses pores et sentit ses poils se dresser, raides, comme les piquants d'un porc-épic.
Malgré les deux années passées dans la steppe mongole et la présence du vieux Bilig à ses côtés, sa peur des loups ne l'avait pas quitté. Loin de leur camp, isolés en pleine montagne dans cette cachette enfouie sous la neige, les deux hommes se trouvaient face à une meute. Bilig et lui n'avaient pour se défendre que deux bâtons: pas un fusil, ni un sabre, ni une perche à lasso, pas même une paire d'étriers, pas le moindre objet en fer pour répondre à un éventuel assaut. Si par malheur la meute flairait l'odeur de l'homme, ils deviendraient la proie de l'«inhumation céleste». Irrévocablement, et avant terme.
Chen respirait à peine, tant il tremblait. Il voyait presque frissonner son haleine avant qu'elle ne se transforme en givre. Il se tourna vers Bilig qui, de sa longue-vue, scrutait les loups tapis en cercle.
- Non, ne tremble pas! Es-tu aussi faible qu'un mouton? Vous, les Han, vous avez la peur du loup dans la moelle. C'est pourquoi dans la steppe vous êtes toujours battus, murmura le vieux chasseur.
Comme Chen Zhen ne disait rien, il ajouta rudement:
- Ne t'affole pas! Au moindre bruit, ce serait la catastrophe.
Chen Zhen acquiesça d'un hochement de tête. Il prit une poignée de neige, la serra si fort entre ses doigts qu'elle devint une boule de glace.
Devant eux, sur la pente, un attroupement de près d'un millier de gazelles broutait. Elles fouillaient de leurs pattes antérieures la couche de neige afin d'exhumer les herbes ensevelies. Quelques mâles, tout en mâchant, observaient les alentours, tête relevée, humant longuement l'air, le flair aiguisé. Mais ils n'avaient toujours pas vu les loups qui s'apprêtaient à les prendre en tenailles. Chen Zhen se figea, comme si la boule compacte qu'il serrait avait transmis à son corps tout entier sa froideur, le transformant en statue de glace. C'était la deuxième fois qu'il rencontrait une meute de loups aussi importante dans la steppe.
Deux ans auparavant, quand Chen Zhen avait quitté Pékin pour s'installer dans ce pâturage près de la frontière, c'était la fin de novembre et la steppe Olon Bulag s'était déjà couverte d'un manteau blanc. Les "jeunes instruits", ces étudiants venus comme lui de Pékin, ne s'étaient pas encore vu attribuer leurs yourtes. Chen Zhen, qui s'apprêtait à devenir berger, logeait alors provisoirement chez Bilig. Un mois plus tard, il avait accompagné le vieux Mongol au siège de l'administration de la ferme, à quarante kilomètres de là. Ils devaient récupérer des documents d'étude et acheter différents objets pour le quotidien. Leur mission accomplie, les deux hommes s'apprêtaient à rejoindre leur camp lorsque le vieux Bilig, en sa qualité de membre du comité révolutionnaire, avait été retenu par une réunion. Chen Zhen avait dû rentrer seul. Bilig lui avait cédé sa propre monture, un grand cheval noir, très rapide, qui connaissait la route. Au moment de se séparer, le vieux Mongol avait réitéré sa recommandation:
- Il ne faut en aucun cas prendre un raccourci, mais suivre fidèlement le grand chemin où il y a des yourtes tous les dix ou quinze kilomètres. Ainsi, tu seras en sécurité.
Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.
Afficher en entierChen Zhen découvrit soudain à l'extrémité de sa longue-vue un énorme loup dont les yeux semblaient le transpercer. Immédiatement, il eut la sensation qu'on lui lacérait sa chemise, et un long frisson secoua tout son corps. Il perçut la sueur exsudée par chacun de ses pores et sentit ses poils se dresser, raides, comme les piquants d'un porc-épic.
Malgré les deux années passées dans la steppe mongole et la présence du vieux Bilig à ses côtés, sa peur des loups ne l'avait pas quitté. Loin de leur camp, isolés en pleine montagne dans cette cachette enfouie sous la neige, les deux hommes se trouvaient face à une meute. Bilig et lui n'avaient pour se défendre que deux bâtons : pas un fusil, ni un sabre, ni une perche à lasso, pas même une paire d'étriers, pas le moindre objet en fer pour répondre à un éventuel assaut. Si par malheur la meute flairait l'odeur de l'homme, ils deviendraient la proie de l'«inhumation céleste». Irrévocablement, et avant terme.
Chen respirait à peine, tant il tremblait. Il voyait presque frissonner son haleine avant qu'elle ne se transforme en givre. Il se tourna vers Bilig qui, de sa longue-vue, scrutait les loups tapis en cercle.
- Non, ne tremble pas ! Es-tu aussi faible qu'un mouton ? Vous, les Han, vous avez la peur du loup dans la moelle. C'est pourquoi dans la steppe vous êtes toujours battus, murmura le vieux chasseur.
Comme Chen Zhen ne disait rien, il ajouta rudement :
- Ne t'affole pas ! Au moindre bruit, ce serait la catastrophe.
Chen Zhen acquiesça d'un hochement de tête. Il prit une poignée de neige, la serra si fort entre ses doigts qu'elle devint une boule de glace.
Devant eux, sur la pente, un attroupement de près d'un millier de gazelles broutait. Elles fouillaient de leurs pattes antérieures la couche de neige afin d'exhumer les herbes ensevelies. Quelques mâles, tout en mâchant, observaient les alentours, tête relevée, humant longuement l'air, le flair aiguisé. Mais ils n'avaient toujours pas vu les loups qui s'apprêtaient à les prendre en tenailles. Chen Zhen se figea, comme si la boule compacte qu'il serrait avait transmis à son corps tout entier sa froideur, le transformant en statue de glace. C'était la deuxième fois qu'il rencontrait une meute de loups aussi importante dans la steppe.
Deux ans auparavant, quand Chen Zhen avait quitté Pékin pour s'installer dans ce pâturage près de la frontière, c'était la fin de novembre et la steppe Olon Bulag s'était déjà couverte d'un manteau blanc. Les «jeunes instruits», ces étudiants venus comme lui de Pékin, ne s'étaient pas encore vu attribuer leurs yourtes. Chen Zhen, qui s'apprêtait à devenir berger, logeait alors provisoirement chez Bilig. Un mois plus tard, il avait accompagné le vieux Mongol au siège de l'administration de la ferme, à quarante kilomètres de là. Ils devaient récupérer des documents d'étude et acheter différents objets pour le quotidien. Leur mission accomplie, les deux hommes s'apprêtaient à rejoindre leur camp lorsque le vieux Bilig, en sa qualité de membre du comité révolutionnaire, avait été retenu par une réunion. Chen Zhen avait dû rentrer seul. Bilig lui avait cédé sa propre monture, un grand cheval noir, très rapide, qui connaissait la route. Au moment de se séparer, le vieux Mongol avait réitéré sa recommandation :
- Il ne faut en aucun cas prendre un raccourci, mais suivre fidèlement le grand chemin où il y a des yourtes tous les dix ou quinze kilomètres. Ainsi, tu seras en sécurité. --Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.
Afficher en entierChen Zhen découvrit soudain à l'extrémité de sa longue-vue un énorme loup dont les yeux semblaient la transpercer. Immédiatement, il eu la sensation qu'on lui lacérait sa chemise, et un long frisson secoua tout son corps. Il perçut la sueur exsudée par chacun de ses pores et sentit ses poils se dresser, raides, comme les piquants d'un porc-épic.
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