Extraits

Un sanglot étouffé l'empêcha de poursuivre.

-Cyrielle, je ne t'accuse de rien, intervint Thyl. Je sais que tu n'es pas responsable de ce qui est arrivé. quelqu'un t'a certainement manipulée, e utilisant l'hypnose ou un charme quelconque. Il t'a forcée à ouvrir la porte de la salle et à prendre le parchemin. Il s'en est emparé comme il l'a fait du talisman des elfes de lune.

— Bien sûr ! Et, comme tu peux le constater, je me suis également fait une petite beauté. Un plongeon dans le lac n’a pas son pareil pour rehausser l’éclat naturel de ma couleur. Quant à la brise vivifiante, elle a redonné volume et souplesse à ma fourrure. Je me sens d’une élégance rare.

Luna le regarda, interloquée, avant d’éclater de rire.

— Tu es splendide, en effet. J’ai devant moi le prince des loups, sans conteste.

— C’est ça, moquez-vous, princesse ! Mais prenez garde d’oublier votre couronne !

Un rouleau de parchemin dans les mains, Ylaïs s’immobilisa devant les doubles portes de la salle du trône du monastère et prit une grande inspiration. Un filet de sueur glacée glissa entre ses omoplates quand les portes s’ouvrirent devant elle.

La salle était plongée dans la pénombre. Les contours de la pièce, noyés dans un linceul d’obscurité, étaient invisibles. Seul le trône, à une vingtaine de mètres, nimbé d’une lumière blafarde, mettait en valeur la fine silhouette de matrone Sylnor.

— Entre ! ordonna une voix jeune, mais autoritaire, dans la tête de la prêtresse.

— Tiens, quelle surprise ! s’écria une splendide guerrière drow. Ne serait-ce pas là ma jeune meurtrière ?

— Oloraé ! devina Luna, devenue blanche comme un linge.

— Tu te souviens de moi, hein ? Mais c’est normal, on se souvient toujours de sa première victime. Je suis curieuse de savoir combien de personnes tu as assassinées après moi.

« Ce n’est qu’un rêve, se répéta mentalement Luna en serrant les poings. Ne lui réponds pas, n’entre pas dans son jeu. »

— Bromyr a raison ! s’exclama brusquement Cyrielle en se relevant. Le malfaiteur ne va pas s’arrêter là. Il va sûrement essayer de voler le bouclier des elfes dorés.

— Et pourquoi pas la statuette d’Eilistraée ? la coupa Luna.

— Réfléchis, enfin ! insista l’avarielle. Le coupable est forcément un elfe noir qui veut nous affaiblir en s’emparant du pouvoir et qui veut devenir le maître suprême de Laltharils.

Luna fut tellement atterrée qu’elle en resta bouche bée. Elle aurait pu éclater de rire si la situation n’avait pas été aussi dramatique.

Complètement anéantie, Luna se laissa tomber sur le sol. Elle mit ses bras autour de ses jambes et appuya son front contre ses genoux. Elle resta ainsi, immobile et prostrée, de longues minutes durant. Elle crut enfin entendre quelque chose, comme un chuchotement venu de loin, de très loin. Elle redressa la tête et tendit l’oreille.

— Sylnodel… Sylnodel… Sylnodel…

Quelqu’un l’appelait par son nom elfique.

Sans faire de bruit, l’adolescente se leva et s’approcha de la fenêtre. L’aube se levait, révélant dans les ténèbres les silhouettes fantomatiques des arbres. Les eaux profondes et sombres du lac dormaient encore sous une épaisse couche de brume vaporeuse.

Luna resta un moment à observer la nature qui s’éveillait et reprenait ses couleurs. Le drame qui avait affecté ses amis avariels l’avait profondément émue. Le parchemin d’or représentait tellement pour eux ! C’était l’unique moyen de communiquer avec Abzagal. S’il était perdu, cela revenait à rompre tout lien avec le dieu dragon.

Une fois coiffée, elle se rinça la bouche avec de l’eau mentholée et se regarda dans le miroir. Sa longue convalescence dans le manoir de sire Lucanor l’avait indubitablement amaigrie. Ses jolies joues rebondies avaient fondu, accentuant l’ovale de son visage. Ses yeux, soulignés de légers cernes, avaient perdu leur innocence au profit d’une profondeur nouvelle. Ambrethil la trouvait mûrie, mais Luna se préférait avant.

Elle grimaça devant son reflet et se dit que, pour une fois, une petite touche de maquillage ne serait pas superflue. Après avoir fait son choix parmi les pots et poudriers qui trônaient sur une étagère, elle déposa un peu de fard gris sur ses yeux et un soupçon de rose sur ses joues pour rehausser son teint pâle. Elle compléta le tout par une fine couche d’huile de rose sur ses lèvres.

Toujours enveloppée dans son drap de soie, elle retourna dans sa chambre, bien décidée à tancer Elbion s’il l’asticotait à nouveau. Mais, à son grand soulagement, le loup avait quitté le lit douillet.

— Il voulait venir, mais, comme il souffre de rhumatismes et qu’il marche de plus en plus difficilement, Darkhan préférait qu’il ne fasse pas le déplacement. Il a promis de lui rendre visite dans la semaine… C’était une belle cérémonie, n’est-ce pas ?

— Très ! lâcha-t-il, laconique. Désolé, mais j’ai encore quelques personnes à saluer. On se voit plus tard ?

Abasourdie par la goujaterie de son ami, Luna le regarda s’éloigner, bouche bée.

— C’est ce qu’on appelle se faire envoyer sur les roses, on dirait, murmura Thyl juste derrière elle. Franchement, quel toupet ! Moi, quand une demoiselle aussi charmante vient me faire la conversation, je bénis Abzagal de m’octroyer un tel privilège. Je savoure avec délice chacune de ses paroles qui sont à mes oreilles le plus succulent des nectars.

Luna, qui n’avait jamais rien entendu d’aussi ridicule, éclata de rire.

— Ils sont rentrés à Laltharils ?

— Darkhan ne voulait pas s’en aller, tu penses bien, mais je lui ai promis que je resterais auprès de toi jusqu’à ton réveil. Il a fini par capituler, à plus forte raison parce qu’Assyléa ne semblait pas très en forme.

— Ah bon !

— Oh, rien de grave, rassure-toi. Une simple migraine. Entre nous, je crois qu’elle a un peu trop abusé de l’alcool durant la noce. Mais, dis-moi, as-tu réussi à voir ton grand-père ? T’a-t-il appris quelque chose d’intéressant ?

Avant de répondre, Luna s’assura d’un coup d’œil que Platzeck ne se cachait pas derrière une colonne.

— Nous sommes seules, la rassura Edryss. Tu peux parler sans crainte.