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Extrait ajouté par Underworld 2020-02-09T00:38:29+01:00

** Extrait offert par Joan Kilby **

Chapitre 1

Appuyé contre une des baies vitrées de sa location, Spencer Valiella rêvassait tout en contemplant le paysage. L’océan Pacifique s’étirait derrière les toits en tuiles de la baie de Monterey, son bleu écumeux rendu légèrement plus sombre ici ou là par le varech.

Les courants de l’océan reliaient ce domicile temporaire à un autre, bien plus au nord, où il s’était fixé quelque temps, il y avait des années de cela.

A trente et un ans, il avait déjà déménagé plus d’une vingtaine de fois et, s’il y avait un endroit où il s’était juré de ne jamais retourner, c’était bien dans la petite ville de Victoria, en Colombie-Britannique.

C’était là qu’il avait rencontré Meg McKenzie. Comment aurait-il pu l’oublier ? La distance, les années, rien n’y avait fait.

Seulement, Doc Campbell venait d’avoir une attaque cardiaque. Pour Spencer, il n’était pas qu’un ancien professeur, c’était son mentor, son ami, et il lui avait demandé de le remplacer à l’université de Victoria jusqu’à ce qu’il soit entièrement remis. Il pensait être en mesure de reprendre son poste aux environs de Noël, à la fin du trimestre. Sa requête avait été suivie d’une demande formelle de Randolph Ashton-Whyte, le doyen de la faculté de biologie. Comment refuser dans ces conditions ?

Il se mit à arpenter le salon à moitié vide. Après son doctorat, il avait décroché un partenariat avec l’aquarium de Monterey, mais son contrat était terminé à présent, et il avait posé sa candidature pour un poste de chercheur à Bergen, en Norvège. Malheureusement, il pouvait s’écouler des mois avant qu’il ne reçoive une réponse.

Résigné, Spencer laissa échapper un soupir : il ne souhaitait pas particulièrement retourner à Victoria, ressasser ses vieux souvenirs, mais il se devait de le faire, ne serait-ce que par amitié pour Doc.

***

Deux jours plus tard, il parcourait les rues de la ville au volant de sa vieille Chevrolet au pot d’échappement percé. Son kayak était arrimé sur la galerie et le reste de ses affaires — un carton de livres, du matériel électronique, ainsi que les rares effets personnels qu’il avait conservés au fil des ans — entassé à l’arrière du véhicule. Il avait fait la route d’une traite, ne s’arrêtant que pour faire le plein, boire un café et grignoter des burritos bon marché.

Il était 8 heures du matin lorsqu’il quitta la route pour s’engager sur la voie défoncée qui menait au cottage de la maison familiale, en bordure de la ville. Sooke… presque un lieu-dit, avec ses maisonnettes de bois aux façades colorées qui bordaient la plage, tandis que de l’autre côté d’immenses pins mêlaient leur odeur de résine à celle, plus entêtante, de l’océan.

Baissant la vitre pour s’en imprégner, il se mit à tapoter sur le toit en cadence avec un vieux tube qui passait à la radio.

Il ne ralentit qu’à la hauteur du troisième tournant, pour se mettre à la recherche du cottage. Son père, musicien, avait acheté celui-ci près de vingt ans plus tôt grâce à l’argent rapporté par son premier album. Après la naissance de sa fille Janis, il avait eu envie de se poser, mais il aimait trop la scène pour que ça dure. Il avait filé à l’autre bout du pays à peine quelques mois plus tard. Leur mère avait alors demandé le divorce et les avait emmenés à San Clemente, là où elle était née. Qui aurait parié qu’elle finirait par s’installer avec un professionnel de la finance que personne ne connaissait ?

Spencer la comprenait, d’une certaine manière. Certaines personnes ont besoin de stabilité, il le savait très bien. Tant qu’on ne lui en demandait pas autant, cela ne le dérangeait pas du tout.

Au détour d’un virage, il repéra la vieille boîte aux lettres de bois. Il s’engagea dans l’allée de gravier qui longeait la maisonnette et coupa le contact. Les façades bleues commençaient à s’écailler et le jardin disparaissait sous les mauvaises herbes ; le carillon en coquilles d’huîtres, accroché sur un montant de la terrasse, cliquetait doucement sous la brise.

Il descendit de voiture, s’étira longuement et s’emplit les poumons de l’air marin. Au-delà des dunes parsemées de plantes desséchées, l’océan l’appelait. Son immensité l’avait toujours aidé à respirer.

Il y était chez lui…

A bien y réfléchir, c’était plutôt amusant car il ne s’était jamais vraiment fixé nulle part. Il était comme les tortues : il portait sa maison sur son dos ou, pour être plus exact, dans sa Chevrolet, dans laquelle il entassait tout ce qu’il possédait.

Epuisé par le manque de sommeil, il laissa échapper un bâillement et tira du coffre son paquetage, ainsi que son ordinateur portable. Apparemment, la maison était inoccupée. Tant mieux ! C’était souvent le cas, d’ailleurs : seuls quelques amis de son père — généralement des musiciens en mal d’inspiration — y venaient encore, de temps à autre.

Il plongea la main dans une poche de son sac pour en sortir son porte-clé, pas celui qui était orné d’une orque en cuivre et qui lui servait tous les jours, mais un simple anneau en aluminium auquel pendaient la clé du cottage et celles du bureau et du laboratoire de Doc. Pour une raison ou pour une autre, il avait omis de les lui rendre en partant, sept ans plus tôt. C’était peut-être écrit, après tout. Il était voué à revenir dans cette région.

Non, c’était stupide, se reprit Spencer.

Le destin n’avait rien à voir avec le fait qu’il ait gardé ces clés. La réalité était beaucoup plus banale : le bateau sur lequel il travaillait cet été-là avait dû partir précipitamment pour suivre un banc d’orques qui s’éloignaient de leur habitat habituel, et il n’avait eu le temps ni de rendre le trousseau ni de dire au revoir à…

A quiconque, en fait.

Il ouvrit la porte grillagée. L’intérieur du cottage baignait dans l’atmosphère tranquille particulière aux habitations de bords de mer. Avant que sa mère ne décide de redescendre vers le sud, elle avait accroché aux fenêtres des rideaux couleur sable tissés à la main et, en guise de décoration, quelques coquillages s’étalaient sur les rebords des fenêtres…

Le plancher craquait sous ses pieds malgré l’immense tapis ovale. Sur le mur du fond, des agrandissements de photos d’orques en noir et blanc lui sautèrent aux yeux. Il y avait là Kitasu, la mère, Geetla et Farceur, ses deux fils adultes, sans oublier Takush, sa fille. Elle était en âge d’avoir un ou deux petits à son tour, à présent. Il l’aurait reconnue d’un seul coup d’œil, elle et sa famille, tant elles lui étaient familières. Au fil du temps, les orques avaient fini par devenir comme de vieilles amies pour lui, et non plus un simple sujet d’étude.

Leur mode de communication avait-il évolué en sept ans ? Il irait les voir, comme prévu, même si, bien sûr, il n’aurait pas le temps d’entamer de nouvelles recherches. Doc était solide et, même s’il avait encore du mal à parler lorsque Spencer l’avait appelé à l’hôpital, il serait de retour à Noël. Il le lui avait assuré.

Il laissa tomber son sac au pied d’une étagère chargée de livres de poche tout cornés et emporta son ordinateur jusqu’à la cuisine. Il tombait de fatigue, mais d’abord il fallait absolument qu’il lise ses e-mails — son seul réel lien avec le monde — et après seulement il pourrait s’allonger pendant quelques heures. Il installa donc son portable sur la table et le relia au modem. Il hésita au moment d’appuyer sur le bouton de connexion — le courant et le téléphone pouvaient très bien être coupés —, mais non, tout fonctionnait correctement. Il entra l’adresse de son serveur, incertain du résultat là aussi… Fantastique, pas de problème non plus, il était connecté !

Parfait. Il ne lui restait plus qu’à attendre que les messages s’affichent sur l’écran. En attendant, il se leva pour inspecter la cuisine.

Une tasse à café sale dans l’évier, un carton de lait vide dans la poubelle…

Aïe… Il n’était pas seul finalement.

Il regagna le salon et se posta à l’entrée du petit couloir qui donnait sur les deux chambres.

— Il y a quelqu’un ? cria-t-il.

Silence.

N’obtenant aucune réponse, il frappa doucement à la première porte. Toujours pas de réponse. Enhardi, il entrouvrit doucement la porte. Le lit était défait et le linge sale s’entassait par terre à côté du placard grand ouvert.

Le cottage était bel et bien occupé. Restait à savoir par qui, et surtout pourquoi justement maintenant.

Il tourna la tête. Un vieil étui à guitare était appuyé contre le mur, derrière la porte. Il était recouvert de stickers à l’emblème de toutes les villes du continent. Son propriétaire ne devait pas tenir en place bien longtemps.

Aussitôt le visage de Spencer s’illumina d’un large sourire. Son père était donc rentré. Il ne l’avait pas revu depuis la fois où il avait fait le voyage de San Franscico à Seattle pour aller écouter les Brass Monkeys en concert, il y a des années de cela. Son groupe marchait bien encore, à cette époque-là. Il venait de signer avec une nouvelle maison de disques, et une tournée promotionnelle était prévue pour les mois à venir.

Même avant, quand il était petit, la vie avec une rock-star était tout sauf ennuyeuse. Il faisait ses devoirs dans un bus, la musique à fond, pendant que son père jouait aux cartes avec le reste du groupe ou écrivait de nouvelles chansons. Comment oublier tous ces moments ? Partir d’un hôtel au petit matin pour rallier une nouvelle ville et mettre les voiles dès le lendemain, c’était le rêve pour un enfant. Du moins pour lui qui avait toujours été sensible à l’attrait de la nouveauté. D’ailleurs, devenu adulte, il n’avait jamais cessé de bouger. A croire qu’il était à la recherche d’un trésor caché et s’attendait à le trouver à chaque étape. Quant à savoir ce qu’était vraiment son but dans la vie, c’était une autre affaire.

Il doutait fort de le découvrir ici, où tout le ramenait loin en arrière, mais ce retour aux sources lui donnerait au moins l’occasion de revoir son père, c’était toujours ça.

Il referma doucement la porte de la chambre et regagna la cuisine. Son père finirait bien par rentrer, à un moment ou à un autre. En attendant, Spencer devait consulter ses messages.

Le premier venait du doyen de la faculté de Victoria.

« Cher Docteur Valiella,

Je crois avoir oublié de vous dire qu’Angus Campbell était tuteur d’une jeune femme qui termine sa thèse. Je souhaite que vous l’appeliez au plus vite. Elle s’appelle Margaret McKenzie. Je vous donne son numéro de téléphone… »

Spencer se laissa retomber contre le dossier de sa chaise, le cœur battant.

Margaret… Meg McKenzie.

Impossible ! En aucun cas il ne pouvait s’agir de la fille qu’il avait connue autrefois ! Cette Meg-là n’avait qu’un an de moins de lui. Elle devait avoir terminé ses études depuis un bon moment. Depuis, elle avait sans doute trouvé du travail quelque part à moins qu’elle n’ait opté pour un autre cursus.

Préoccupé tout à coup, il se leva pour faire les cent pas devant la fenêtre qui surplombait le jardin. Sortir Meg de sa tête était tout simplement impossible. Son sourire espiègle, ses yeux immenses d’un bleu incroyable, ses cheveux soyeux, et son rire, aussi, cristallin, plein d’insouciance, confiant. La vie lui avait tout donné : richesse, intelligence et beauté.

Il ferma les paupières. Il n’oublierait jamais cette nuit, il y avait longtemps : les étoiles qui brillaient au-dessus du camping de Saltspring Island, leurs deux sacs de couchage refermés ensemble pour n’en former plus qu’un… Leur première étreinte avait été magique… Il eut un pincement au cœur.

Cette nuit dans les bras l’un de l’autre avait aussi été la dernière. Le temps avait passé si vite. L’espace de quelques heures, il avait cru donner à Meg ce qu’elle désirait.

Quel besoin avait-elle eu de se laisser aller à des confidences ? Si elle s’était tue…

Hélas, ça ne s’était pas passé ainsi, et Spencer avait compris qu’il ne pourrait jamais vivre à ses côtés le genre d’existence dont elle rêvait.

La lassitude le gagnait. Il se passa la main dans les cheveux. Tout cela remontait à des années-lumière. Il était grand temps qu’il oublie Meg McKenzie.

Il ferait mieux d’appeler sans tarder cette étudiante au nom si familier.

Il attrapa son téléphone, hésita un instant et finit par se décider. En admettant qu’il s’agisse bien de son amour de jeunesse, il y avait de grandes chances pour qu’elle ne se souvienne pas de lui. Ce week-end qu’il n’avait jamais pu oublier n’avait sans doute été qu’un détail dans la vie mondaine de Meg.

Il composa le numéro. Mais pourquoi fallait-il qu’il ait les mains moites et le cœur battant ?

***

Meg tendit l’oreille. Tiens, le téléphone sonnait. Dino, le perroquet de son fils, n’arrêtait pas de s’égosiller, et c’était difficile d’entendre quoi que ce soit. Davis avait-il été réveillé par ce vacarme ? Le pauvre, c’était vraiment terrible de l’entendre pleurer. Pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une nouvelle « phase », comme disaient les médecins ! Ces périodes de turbulences qui se suivaient se ressemblaient un peu trop à son goût.

Elle poussa un soupir, retira du feu la casserole où cuisaient les flocons d’avoine et alla vérifier si tout allait bien. Dans la salle de bains, Patrick chantait à tue-tête un vieux tube des années 1970. Il était d’humeur joyeuse, lui au moins, et malgré elle elle sourit.

Elle s’arrêta sur le seuil de la petite chambre. Davis, toujours en caleçon et chaussettes, se débattait avec le bouton de la chemise qu’il avait enfilée à l’envers. En voyant Meg arriver, il se mit à pleurer de plus belle.

— J’y arrive pas, geignit-il, en essuyant ses larmes d’un geste rageur.

Elle s’accroupit devant lui, les bras ouverts.

— Allez, viens là, bonhomme, murmura-t-elle tandis que Morticia, leur chat roux et noir, ouvrait un œil.

Son fils ne bougea pas d’un pouce.

Parfois, il lui rappelait tant son père, avec ses yeux vert foncé et son acharnement farouche. A cette pensée, son cœur se serrait. Cela ne la renvoyait que trop à la meilleure et à la pire période de sa vie.

Davis finit par faire glisser le bouton dans la boutonnière.

— J’ai réussi ! s’exclama-t-il d’une voix triomphale.

— Oui. Et tu sais pourquoi tu as eu tant de mal ? lui demanda Meg, d’un ton aussi neutre que possible. Parce que tu as mis ta chemise à l’envers.

— Je sais, grommela-t-il avant de s’attaquer au deuxième bouton.

Sa peau mate se tendit sur ses pommettes qui ne tardèrent pas à rougir d’énervement.

Meg s’avança encore un peu puis, sans se laisser déstabiliser par les protestations de son fils, lui retira sa chemise.

— Allez. Recommence, et montre-moi que tu es un grand garçon.

Quelques minutes plus tard, très fier de lui, il lui montrait sa chemise enfin boutonnée.

Meg prit son fils dans ses bras pour le féliciter. Ce qui n’était qu’un progrès infime pour la plupart des enfants constituait un exploit pour Davis. Il pouvait construire des structures en Lego très élaborées et en savait presque autant qu’elle sur les insectes dont il faisait la collection, mais il était incapable de rester assis plus de deux secondes d’affilée, avait des difficultés à exprimer ses pensées et était terriblement distrait.

Bref, Davis était le gamin le plus exaspérant de la planète et, si Meg ne l’avait pas autant aimé, elle l’aurait sûrement étranglé depuis longtemps. Il avait six ans à présent, et dans quelques semaines il entrerait à l’école primaire — rien qu’à cette idée elle en tremblait.

— A présent, ton pantalon, dit-elle en lui tendant un jean bleu marine.

Davis s’en empara et leva un pied. Il s’assit sur son lit pour ne pas perdre l’équilibre, passa une jambe dans le vêtement, vit une mouche voleter sur le rideau, et s’interrompit pour l’observer.

Meg attendit quelques secondes avant de le rappeler à la réalité.

— Davis ? Ton pantalon, mon chéri. Davis ? Davis ?

— Quoi ? demanda-t-il, avec un étonnement tout à fait sincère.

— Ton pantalon, mon chéri, répéta-t-elle.

Qu’avait-elle fait pour mériter cela ? La patience n’avait jamais été son fort, jusque-là.

Davis baissa vaguement la tête vers ses pieds.

— Ah oui ! s’exclama-t-il avant d’enfiler la deuxième jambe.

Il se mit ensuite à sautiller, le temps de remonter le jean jusqu’à ses hanches, mais même après il continua à sauter.

— Regarde, maman. Je suis un lapin.

Meg l’attrapa par la taille pour faire rentrer sa chemise dans le pantalon.

— Je ne veux pas aller au centre, geignit-il en essayant de se dégager. Les autres enfants sont méchants avec moi.

Il ne fallait pas qu’il voie sa gêne. Ce moment devait bien arriver un jour, malheureusement. Bien sûr, la directrice de l’établissement lui avait promis d’être discrète lorsqu’elle donnerait son cachet quotidien à Davis, à l’heure du déjeuner, mais ce n’était encore qu’un début : la situation risquait d’empirer lorsque son fils entrerait à l’école.

— Il n’y a pas de honte à prendre un médicament, tu sais, bonhomme !

— Ce n’est pas pour ça, répondit Davis, les poings fermés. Tommy a dit que… que je ne pourrai pas aller à… entrer à la grande école parce que je n’ai pas de papa.

Meg consulta sa montre d’un coup d’œil. Si elle voulait arriver à l’université à l’heure, elle n’avait plus qu’une petite demi-heure pour être prête. Ils avaient parlé ensemble de son père à maintes reprises, elle ne refusait jamais de répondre à ses questions. Par amour, bien sûr, mais aussi peut-être parce qu’elle se sentait coupable, qui sait ? Si au moins elle avait eu de véritables réponses à lui fournir…

— Tu as un papa, mon chéri, expliqua-t-elle patiemment. Il n’est pas comme les autres, c’est tout. Il est… différent.

— Parce qu’il étudie le comportement des orques ? demanda Davis, sans cesser de se débattre.

— En partie, oui.

— Quoi d’autre ?

Il parvint à se dégager des bras de Meg et, après avoir ramassé une petite voiture qui traînait sur le tapis, se mit à courir dans tous les sens.

— Ton papa est un…

Elle s’interrompit. Comment trouver les mots justes pour expliquer à son fils de six ans qui était son père ? Un loup solitaire, un aventurier des temps modernes, un génie… un salaud ?

— Ton papa sait peler une orange en une seule fois, sans casser l’écorce, annonça-t-elle, en désespoir de cause.

Davis s’interrompit momentanément dans sa course.

— C’est vrai ? Génial ! Mais pourquoi est-ce qu’il ne… tu sais…

— Je sais quoi ?

— Pourquoi est-ce qu’il ne vit pas avec nous, dans notre maison ?

Davis abandonna sa voiture pour se saisir d’une épée en plastique qu’il se mit à faire cogner contre le montant du lit.

— Je te l’ai déjà dit, mon chéri. Et arrête ce vacarme, s’il te plaît. Ton papa n’a pas de maison. Il n’en a jamais eu, enfin, jamais pour très longtemps. En revanche, je peux te jurer que s’il savait qu’il a un petit garçon il t’aimerait de tout son cœur.

Pourvu que ce soit vrai…

— Bah alors, pourquoi tu ne lui as pas dit qu’il m’avait, moi ?

Ce ton de reproche, comme ça faisait mal. Il n’arrêtait pas de faire cogner son épée. Les nerfs à fleur de peau, Meg la lui prit des mains. Aussitôt, Davis attrapa une fausse batte de base-ball et se remit à jouer.

— J’ai essayé, mon chéri. Il y a bien longtemps… malheureusement, je n’y suis jamais arrivée.

Sa première tentative remontait à l’été qui avait suivi sa troisième année d’études. Meg avait alors utilisé la radio de liaison de la côte mais, s’étant soudain rendu compte que tous les pêcheurs du Pacifique Nord pouvaient l’entendre, elle avait raccroché, rouge de honte. Un peu plus tard, enceinte de huit mois, elle avait appelé Spencer à Seattle, où il terminait son master. Elle n’avait pas eu le temps de lui annoncer la nouvelle qu’il lui parlait déjà de la bourse qu’il avait obtenue et de la thèse qu’il allait entamer dans une prestigieuse université. Du coup, elle avait gardé le silence. Non par crainte de lui gâcher son avenir, encore que cela ait pesé dans la balance, mais parce qu’il semblait si excité à l’idée de changer d’horizons, une fois encore.

Nouvel environnement, nouveau sujet de recherches, nouvelle petite amie aussi, à n’en pas douter…

Elle secoua la tête. Elle ferait mieux de se changer les idées.

Les parents de Meg — surtout sa mère — ne lui avaient jamais pardonné d’avoir abandonné ses études pour élever l’enfant que Spencer lui avait fait. Un enfant avec lequel elle vivait seule. Le seul modèle masculin de Davis était leur colocataire homosexuel.

Une situation qu’elle ne pouvait pour autant reprocher à Spencer, même si à la base tout était arrivé par sa faute.

Spencer… Il ne se passait pas une journée sans que Meg ne pense à lui. Elle avait beau se dire qu’il avait quitté le pays depuis bien longtemps, elle s’était toujours attendue à le voir surgir, au détour d’une des allées du campus, chaque fois où elle s’était rendue à l’université.

En vain. Au final, cela avait été une relation sans issue, éphémère, pitoyable. Elle ne pouvait que se féliciter de s’en être remise, ou à peu près…

Elle soupira. Le tintamarre que faisait son fils commençait à lui taper sur les nerfs.

— Arrête, je te dis !

— Je veux apprendre à jouer au base-ball, fit-il d’une petite voix, mais en laissant tomber la batte. Le papa de Tommy, eh ben il lui apprend à rattraper la balle !

— Je t’apprendrai à jouer, moi, si tu veux. Ce soir, quand nous rentrerons, d’accord ?

Elle prit son fils dans ses bras une dernière fois avant de se redresser.

— Nous sommes tout seuls dans la vie, mon garçon. Il faudra bien que tu en prennes ton parti un jour ou l’autre. Allez, viens. Ton petit déjeuner est presque prêt.

— Je veux voir Charlie, d’abord.

Charlie… le lézard de la maison.

Meg suivit son fils dans le couloir, à travers la cuisine et dans la buanderie. Il n’avait pas bien enfilé ses chaussettes qui tirebouchonnaient, mais à quoi bon le lui faire remarquer ? Un jour ou l’autre, il le ferait d’instinct.

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Extrait ajouté par Underworld 2020-02-09T00:37:29+01:00

** Extrait offert par Joan Kilby **

Prologue

Penchée sur un microscope, Meg était plongée dans son travail. De temps en temps elle relevait la tête, consultait le répertoire des invertébrés du Pacifique Nord posé à côté d’elle et prenait des notes.

Elle allait terminer lorsque quelqu’un tira soudain la chaise à côté d’elle. Surprise, elle tourna la tête… et aussitôt son cœur se mit à battre la chamade.

Spencer Valiella…

Comme d’habitude, ses cheveux longs étaient aussi ébouriffés que s’il avait passé la journée en pleine mer. Il portait un pantalon kaki et un vieux sweat-shirt noir délavé dont les manches avaient été coupées aux ciseaux. Sur un de ses bras musclés on pouvait voir un tatouage représentant une orque.

Personne ne connaissait vraiment Spencer à l’université de Victoria. Il ne parlait pas à grand monde. Meg savait seulement qu’il était en quatrième année et avait la réputation d’être plutôt doué. Pourtant, ce n’était pas vraiment le genre de garçon que la mère de Meg aurait souhaité comme gendre. Elle, en revanche, avait depuis longtemps remarqué sur le campus ce garçon qu’elle trouvait terriblement séduisant. Et voilà qu’il venait de s’asseoir juste à côté d’elle…

— Salut, lança-t-elle timidement. Je m’appelle Meg. Meg McKenzie.

— Spencer Valiella, répondit-il sans vraiment faire attention à elle, avant de se mettre à fouiller dans son vieux cartable de cuir.

Le regard de Meg se posa de nouveau sur son tatouage. Les orques étaient vraiment des animaux fascinants. Elle se souvenait encore de son émerveillement la première fois qu’elle les avait vues de près. Elle avait à peine huit ans à l’époque, et l’une d’entre elles avait bondi, juste à côté du yacht de son père. Bien plus tard, son intérêt pour la vie marine l’avait poussée à se lancer dans des études de biologie.

— Tu es sûr de ne pas t’être trompé de cours ? demanda-t-elle, dans l’espoir de le faire parler un peu. Celui-ci est consacré aux invertébrés marins… C’est plutôt pour les étudiants de troisième année.

Enfin, il daigna se tourner vers elle pour lui jeter un regard ! Au moins, ce matin, elle n’aurait pas passé tout ce temps à se coiffer et à s’habiller pour rien ! Mais… était-ce un sourire narquois qui se dessinait sur son visage ?

— Je suis exactement là où je dois être, princesse !

Meg détourna la tête. Vite, il fallait faire semblant de s’intéresser au microscope.

Du coin de l’œil cependant, elle l’observa discrètement. Spencer venait de tirer un manuel de son sac. Un morceau de papier plié en quatre s’en échappa et vint atterrir sur son bureau. Elle le rattrapa en un éclair. Qu’y avait-il dessus ? Des lignes, des points bleus et verts : tiens donc, Spencer s’intéressait aux cartes marines ?

— Tu fais du bateau ? demanda-t-elle tout en lui rendant la feuille. Mon père a un petit yacht de croisière. Nous allons souvent à Port Townsend.

— Je me contente de mon kayak.

Fallait-il prendre sa réponse pour une excuse ? se demanda-t-elle. Non, bien sûr, à en juger par sa tête, elle s’était réjouie trop vite.

Le rouge lui monta aux joues : il était clair que Spencer Valiella n’était pas du genre à se laisser impressionner si facilement par ses vêtements ou son argent. Ni même par quoi que ce soit, apparemment. Meg était loin d’être idiote, mais quelles étaient ses chances pour qu’il s’en aperçoive un jour ? Il ne s’intéressait même pas à elle !

Il remit la carte dans son cartable et se rapprocha pour regarder ce qui se passait sous la lame de son microscope.

— Qu’est-ce que tu as, là-dessous ? demanda-t-il. Un polychète ?

Son genou effleurait le sien à présent, et pour Meg ça devenait vraiment difficile de se concentrer. Cette odeur d’iode, sur sa peau… Ça lui tournait la tête.

— Oui. J’ai presque terminé l’identification, murmura-t-elle sans le regarder en face. Il est à toi dans deux minutes, si tu le veux.

D’une pichenette, Spencer mit l’invertébré sur le dos.

— Abarenicola pacifica, déclara-il.

Surprise, elle leva les yeux vers lui.

— Tu en es sûr ?

— Absolument, répondit-il d’un ton blasé.

Comme si de rien n’était, il se mit à lui détailler toutes les caractéristiques de l’animal.

— Attends, coupa-t-elle avant de feuilleter son manuel. Oui. C’est bien ça. Tu as raison.

Elle nota le nom du spécimen dans son cahier, à côté du croquis qu’elle avait dessiné.

— Merci, c’est sympa ! Je m’intéresse aux orques, moi aussi, ajouta-t-elle en désignant de la tête son tatouage. Tu étudies leur comportement pour ta thèse ?

Spencer eut un petit rictus ironique. Ses yeux verts se mirent à briller au-dessus de ses pommettes hautes.

— Il n’y a qu’une chose à savoir à mon propos, princesse. Je suis à Victoria pour un temps, pas pour toujours.

Meg fit mine de refermer son cahier. Pourquoi donc avait-elle essayé d’engager la conversation avec cet étudiant prétentieux ?

— Attends. Montre-moi ça, demanda-t-il, l’arrêtant dans son geste.

Il étudia attentivement son croquis qui était plutôt réussi, en plus d’être détaillé.

— C’est drôlement bien, dis donc !

Les joues de Meg s’enflammèrent de fierté. Elle referma pourtant son cahier d’un geste sec et le rangea dans son sac. Elle n’avait pas besoin de l’avis de Spencer Valiella pour savoir qu’elle faisait du bon travail.

Il leva son crayon de papier vers sa joue pour écarter une mèche de cheveux.

— J’étudie le système de communication entre les orques de la région, Meg.

Malgré elle, elle releva les yeux vers lui.

— Je pourrais t’emmener avec moi, un de ces jours, si le sujet t’intéresse vraiment, reprit-il.

— Ça m’intéresse beaucoup, répondit-elle.

Avait-il perçu l’émotion dans sa voix ?

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