Extraits

Plus de neuf cents ans s’étaient écoulés depuis que Rudel Nerimann avait atterri pour la première fois sur Cadwal. A la station d’Araminta, l’été allait céder la place à l’automne et le seizième anniversaire de Glawen Clattuc, officialisant son passage de l’« enfance » au stade de « personnel stagiaire », arriva. A cette occasion, il prit connaissance du chiffre officiel de son « indice de statut » ou « IS » : un chiffre calculé par un ordinateur après avoir digéré des masses de données généalogiques.

Le chiffre surprenait rarement quelqu’un, et moins que quiconque la personne la plus directement concernée : elle avait depuis longtemps compté sur ses doigts et tracé le diagramme des probabilités.

Comme le nombre d’habitants de chaque Maison avait été fixé à quarante personnes, moitié hommes, moitié femmes, tout IS de « 20 » ou au-dessus était excellent, de « 21 » ou « 22 » bon, de « 23 » ou « 24 » moyen ; n’importe quel chiffre supérieur se chargeait d’incertitude, puisqu’il dépendait de la situation dans la Maison. Un chiffre dépassant « 26 » était décourageant et incitait à des conjectures mélancoliques concernant l’avenir.

- Quelle blague ! Il vous couperait la gorge à l’instant s’il pensait que ça peut lui rendre la liberté ou lui économiser cent sols !

- Comment pouvez-vous tolérer si placidement ces insultes ? demanda Dame Selkane en se tournant vers Floreste.

- Mais, ma chère, parce que c’est vrai. La première et la plus noble fonction de la vie, c’est l’Art ! Mon art en particulier.

Le restaurant, en bordure de jardin, occupait un espace de plus de soixante-dix mètres de diamètre sous son dôme de verre fumé. Mille plantes de toutes les variétés épanouissaient leurs feuilles et leurs fleurs diverses. Au centre, un bloc de basalte s’élevait à vingt mètres du sol. Une petite cascade en sortait près du sommet, dont l’eau ruisselait sur ses flancs avec un clapotis argentin. Partant du restaurant, des sentiers s’enfonçaient dans cette jungle artificielle, menant à des tables dissimulées sous les feuillages.

Glawen regarda Kirdy.

- Eh bien, qu’as-tu à répondre, Kirdy ? De nouveaux mensonges ?

- Je ne dirai rien. Je dois vivre ma destinée en solitaire. J’ai toujours lutté seul contre le monde entier.

- C’est très bien, dit Glawen. Mais j’ai l’impression désagréable que nous n’avons vu que le sommet de l’iceberg. Par exemple, Sibil avait un tatouage sur le front.

- Et alors ? Il paraît que certaines femmes se font tatouer des feux de position sur le derrière.