Extraits

- Nom d’un chien, Clara… épousez-moi !

Elle se rembrunit.

- Est-ce là votre idée d’une demande en mariage ? Je n’ai rien entendu d’aussi prosaïque de toute ma vie. N’importe quel gentilhomme fait appel à son intelligence – dans la proportion de celle dont il dispose – pour trousser un joli petit discours. N’importe quel gentilhomme met un genou à terre pour me supplier de lui faire l’honneur de lui accorder ma main. N’importe quel gentilhomme affirme que de ma réponse dépend son bonheur à venir. N’importe quel gentilhomme affirme qu’il n’est pas digne d’une telle félicité. N’importe quel…

- Je ne suis pas n’importe quel gentilhomme.

- Indubitablement.

Il avança jusqu’à elle. Elle ne bougea pas. Il lui saisit les épaules.

- Epousez-moi, bon sang.

- Vous écrasez les manches de ma robe !

- Je sais. Vous pourrez dire adieu à votre carrière. Comme vous êtes charmant !

- C’est l’avis général.

- Pas du tout. Jamais personne n’a dit cela de vous de toute votre existence, je suis prête à le parier.

- Peut-être n’a-t-on pas employé le terme « charmant », admit-il. Peut-être… Oui, je m’en souviens maintenant, la formulation était : « tolérable à très petites doses ».

- Et malgré cela, vous m’avez manqué, dit-elle. Curieux, n’est-ce pas ?

Il se donnait un mal fou pour rester détaché, et elle lui rendit la tâche bien difficile. Impossible, même, en ce moment. Il ne put empêcher son autre moitié d’intervenir :

- Vous aussi, vous m’avez manqué, reconnut-il d’un ton bourru.

- Naturellement. Je suis si aimable.

- Pas du tout. Vous êtes excessivement contrariante. Et autoritaire.

- Je ne vous demanderai pas si vous avez cessé votre crise d'hystérie. Le premier imbécile venu comprendrait que vous en avez emmagasiné en quantité pendant des années, et que cela peut resurgir sporadiquement.

- Ma... crise d'hystérie?

- Je ne m'excuserai pas de vous avoir embrassé enchaîna-t-elle. Je ne chercherai pas à me disculper. Les faits sont simples et évidents. J'en ai eu par-dessus la tête. J'ai succombé à la pulsion féminine naturelle et normale de faire taire un homme en train de divaguer.

- Il ne lui arrivera rien affirma Radford. Et personne ne le saura. J'en suis sûr. Sinon, j'aurais prétexté un accès de folie et lui aurais dit de rentrer chez elle et de cesser de m'importuner.

- J'attends d'apprendre pourquoi vous n'en avez rien fait.

- Ne soyez pas idiot, Wescott. A votre avis, pourquoi?

- Oui, nom de Dieu, pourquoi?

Radford enfila son manteau.

- Parce qu'elle a levé vers moi ses grands yeux bleus et m'a dit "s'il vous plaît".

- Je comprends bien qu'un incident est toujours possible, répondit-elle. Rassurez-vous, j'apporterai une arme. Et si cela ne suffit pas, M. Radford saura achever ces bandits en les soûlant de paroles, tant et si bien qu'ils ne s'en relèveront pas.

Le chapeau était hideux. Elle était d'une beauté déraisonnable.

Un homme moins discipliné aurait pu trouver douloureux le seul fait de la regarder.