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Chacun avait son importance sur ce monde, tous tissaient une trame commune et indéchiffrable. Tant que les hommes n'auraient pas pris conscience qu'aucun d'eux n'était ni inférieur ni supérieur aux autres, qu'ils étaient associés pour le meilleur et pour le pire dans le lit de l'humanité, ils poursuivraient l'œuvre d'anéantissement qu'ils avaient entreprise depuis la nuit des temps.
Afficher en entierLe chauffeur frissonna, remonta le col de sa veste et se rencogna sur son siège. Il pesta intérieurement contre les intrus qui, quels qu'ils fussent, l'avaient obligé à s'immobiliser et à couper le moteur, donc le chauffage. Allez donc vous regarder avec humour quand vous êtes coincé dans un froid et un paysage pareils, veillé par des chiens qui peuvent vous couper en deux d'un seul coup de mâchoires, accompagné d'une fille qui ne prononce pas un traître mot et qui pourtant commande aux cohortes des anges, guidé par un donneur qui lit en vous aussi clairement que dans une source d'eau et vous renvoie impitoyablement à vos contradictions... Comment trouver de l'humour à une existence marquée par la mort, la peur, la fuite, la désespérance ? Comment plaisanter sur les cadavres de ses parents à demi déchiquetés par une mine à fragmentation des hommes de l'ancien temps ? Comment sourire d'une enfance passée dans un monde où chaque plante est une meurtrière en puissance, où chaque gorgée d'eau peut vous emporter en quelques secondes, où chaque bosquet cache une horde d'animaux sauvages ou un essaim d'insectes ? Où aucun bras, aucune poitrine ne vous étreint pour vous rassurer, vous protéger, vous consoler ? Où la solitude est la seule compagne de vos nuits désespérantes ? Où le culte des absents se traduit par un besoin obsessionnel de séduire les femmes, de les posséder, puis de les quitter sans laisser d'empreintes afin de s'épargner de nouvelles déceptions ?... Oui, bon Dieu, comment avoir de l'humour sur cette putain de vie ?
Afficher en entierQue la race humaine s'éteigne, quelle importance ? Elle avait sauté sur toutes les occasions de faire de sa terre un enfer, au nom des dieux, au nom des croyances, au nom des principes, au nom des territoires, au non de toutes les supériorités guerrières, intellectuelles, religieuses ou esthétiques qu'elle s'était arrogées comme des devoirs ou des droits.
Afficher en entierIl y avait une fatalité humaine, une faute originelle qui condamnait les hommes à se haïr, à se combattre, à diviser les uns en bourreaux et les autres en victimes, comme si la cruauté ou la souffrance avaient le pouvoir de les consoler du pourrissement inéluctable de leur prison de chair.
Afficher en entierIl avait beau se dire et se répéter que la beauté se nichait dans l'être et non dans le paraître, il se révélait incapable de franchir l'obstacle du déclin physique de Raïma. Pourtant, elle lui avait donné un plaisir qu'il n'était pas certain de retrouver avec d'autres femmes. Il se souvint avec amertume qu'il avait regretté son absence pendant le jugement, qu'il avait alors oublié la hideur de son apparence pour ne garder d'elle que la splendeur de son âme.
Afficher en entierQu'est-ce qui nous différencie des animaux sauvages ? murmura Raïma d'une voix fêlée par la détresse. À quoi utilisons-nous notre pensée, notre langage, notre intelligence ? Nous, les peuples nomades, nous prétendons avoir tiré les leçons du passé et nous être engagés dans une nouvelle voie, mais qu'est-ce qui a changé ? Où est l'être pur dont les pères et les mères des conseils nous rebattent les oreilles ? Où est la relation miraculeuse avec la mère Nature ? À quoi servira-t-il de purifier la terre si nous ne nettoyons pas nos âmes ?
Afficher en entierIls s'étaient approchés en silence et avaient surgi de la nuit comme des spectres. Pétrifié à l'entrée de la tente du conseil, Solman les voyait affluer par vagues entre les camions, les remorques, les charrettes, se ruer sur les hommes, les femmes et les enfants rassemblés autour des braseros, leur sauter à la gorge, les coucher sur le sol, leur briser le cou, tailler en pièces leurs vêtements, leur ouvrir le ventre, leur arracher les viscères. Avertis au tout dernier moment par la sirène, les guetteurs aquariotes n'avaient pas eu le temps de s'organiser. Des éclairs fugaces trouaient l'obscurité, des rafales de fusil d'assaut claquaient entre les grondements des fauves mais la nuit et la confusion rendaient les tirs imprécis, dangereux. Déjà les chevaux et les bœufs des attelages sheulns gisaient sur la terre humide, empêtrés dans leurs harnais. Quelques charrettes s'étaient renversées, des tonneaux avaient éclaté comme des fruits mûrs et répandu leur eau changée en vin par le sang.
Afficher en entierComme chaque fois qu'il contemplait la Baltique, Solman s'était senti chaviré de colère et de tristesse. Rien n'était plus désolant que la métamorphose d'une mer autrefois vivante, féconde, en une fosse infectée, putride, qui n'avait plus la force de se régénérer, d'expulser de son grand corps acide les toxines nucléaires, chimiques et génétiques déversées pendant des années par des populations inconscientes, criminelles. Les vagues elles-mêmes n'avaient même plus la volonté de battre les carcasses rongées des sous-marins et des bâtiments géants échoués à proximité des côtes.
Afficher en entierLa portière s’ouvrit et livra passage à un Moram au visage encore chiffonné de sommeil. Il les salua d’un « Bordel, je me suis empaffé, putain, il me reste presque plus de kaoua, saloperie de siège, il m’a cassé les reins ! » qui semblait indiquer que, non, merci, il n’avait pas passé une bonne nuit
Afficher en entier– Raïma parlait sans cesse des trompettes des anges de l’Apocalypse, avança Solman. Elle avait fait le rapprochement entre les trois premières sonneries et la Grande Guerre, entre la quatrième sonnerie et l’empoisonnement des eaux, entre l’absinthe et le poison des anguillesGM.
– Ce n’était chez elle qu’une vision empirique, un mélange de conviction personnelle, d’intuition et de croyances religieuses, mais je pense qu’elle allait dans la bonne direction. »
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