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Ce même lundi matin, à quelques kilomètres de là, le logement des Chaloupe avait déjà été secoué par plusieurs réveille-matin. Deux, pour être exact. Le père de Fantin avait quitté leur maison du Clos Marguerite avant que le jour n’eût lui. Il embauchait à six heures ; Fantin et lui n’avaient échangé nul mot. Vers les dix heures, Claudie était apparue, à la va-vite, à la minute près, comme chaque jour de la semaine. À l’instar de son Minou adoré, Claudie n’avait pas encore le droit de prendre une retraite qu’elle eût pourtant déjà bien méritée. Ainsi c’est usée, les os en friche, échinée par des années d’un labeur manutentionné, qu’elle se préparait à tenir son poste de packeur, à temps partiel, dans un entrepôt de la périphérie de Areng-sur-Fault.
Il n’aurait su dire pourquoi, mais Fantin était réveillé depuis longtemps. Sans doute qu’il avait un peu honte d’entamer une convalescence qui allait le clouer à la maison pendant plusieurs jours. Tandis que, dans son chignon, sa mère emberlificotait amertume et grande lassitude. Alors il s’extirpa de sa chaise, se plaça en travers du chemin de Claudie, et l’obligea à cesser tout mouvement une poignée de secondes. Elle maugréa : « Fantin, mon chéri ! Je n’ai pas le temps pour ces enfantillages ! » Il s’en amusa : « Je sais, maman… je sais… » Puis, poussé par un élan d’amour ô combien réjouissant, il l’enlaça de toute sa tendresse. Et quand, après avoir humidifié très légèrement son index, il redessina le pourtour de ses lèvres pour que le rouge y coïncidât à merveille, Claudie s’en inquiéta : « Tu ne vas pas faire de bêtises, au moins ? Hein, mon chéri ? Tu me le promets ? » Souriant, évidemment souriant, Fantin la rassura et lui dit à ce soir. Enfin, elle quitta à son tour la maison.
Afficher en entierCe même lundi matin, à quelques kilomètres de là, le logement des Chaloupe avait déjà été secoué par plusieurs réveille-matin. Deux, pour être exact. Le père de Fantin avait quitté leur maison du Clos Marguerite avant que le jour n’eût lui. Il embauchait à six heures ; Fantin et lui n’avaient échangé nul mot. Vers les dix heures, Claudie était apparue, à la va-vite, à la minute près, comme chaque jour de la semaine. À l’instar de son Minou adoré, Claudie n’avait pas encore le droit de prendre une retraite qu’elle eût pourtant déjà bien méritée. Ainsi c’est usée, les os en friche, échinée par des années d’un labeur manutentionné, qu’elle se préparait à tenir son poste de packeur, à temps partiel, dans un entrepôt de la périphérie de Areng-sur-Fault.
Il n’aurait su dire pourquoi, mais Fantin était réveillé depuis longtemps. Sans doute qu’il avait un peu honte d’entamer une convalescence qui allait le clouer à la maison pendant plusieurs jours. Tandis que, dans son chignon, sa mère emberlificotait amertume et grande lassitude. Alors il s’extirpa de sa chaise, se plaça en travers du chemin de Claudie, et l’obligea à cesser tout mouvement une poignée de secondes. Elle maugréa : « Fantin, mon chéri ! Je n’ai pas le temps pour ces enfantillages ! » Il s’en amusa : « Je sais, maman… je sais… » Puis, poussé par un élan d’amour ô combien réjouissant, il l’enlaça de toute sa tendresse. Et quand, après avoir humidifié très légèrement son index, il redessina le pourtour de ses lèvres pour que le rouge y coïncidât à merveille, Claudie s’en inquiéta : « Tu ne vas pas faire de bêtises, au moins ? Hein, mon chéri ? Tu me le promets ? » Souriant, évidemment souriant, Fantin la rassura et lui dit à ce soir. Enfin, elle quitta à son tour la maison.
Afficher en entierIntérieurement, Madeline se félicita que c’était dimanche soir et que les visiteurs avaient presque tous quitté la Clinique Astrid. Elle se disait aussi que, peut-être, l’addiction de Khris à l’héroïne pourrait être une alliée de poids dans l’atteinte de leurs objectifs, à Luc et à elle. Alors, elle changea sans coup férir de braquet, c’est-à-dire qu’elle considéra Khris comme un être à part entière, avec déférence, omettant le côté répugnant de sa toxicomanie ; le jeune garçon en fut tout remué. Il avait toujours été
tellement en manque d’amour que les feulements de la Madeline, même outranciers, suffisaient à le rendre malléable comme de la pâte à modeler.
Chef d’orchestre impudique et lascif, la médecin-chef annonça du coup la couleur à Khris sans équivoque ni la moindre fausse note :
« Voyez-vous, Khris, même sans avoir utilisé de techniques invasives pour étudier le cerveau de votre meilleur ami, nous savons que celui-ci est exceptionnel.
Afficher en entierLà, Fantin a peur. Sa mère est pourtant comme à bout touchant avec lui, mais une peur, indomptable, l’étreint. Le petit Faki, sensible au trouble châtié de son copain, tente de le rassurer : « Di kasou ! Pou ko ! Pou ko ! Oum pou ko. » Fantin se tait. Il croit réentendre, dans la bouche de
Faki, des mots que sa mère a également utilisés plus tôt dans la matinée, mais il n’est plus très sûr de rien. Puis, un des onze hommes, sans l’ombre d’un doute, l’a choisi puisqu’il s’agenouille à un pouce de lui. De sa grosse voix, il lui dit : « Toumi. Pou ko di kasou. Sta pla. Tama pla ! » Pendant qu’il parle à Fantin, l’homme désigne le front, le coeur, puis le ventre de son corps naissant avec ses doigts huileux. Autour de lui, Fantin voit que cette scène se répète avec tous les autres enfants : un homme, à genoux, avec les deux gros coquillages juste posés à proximité, prêt à peindre des motifs sur la peau de son jeune vis-à-vis. Fantin respire, respire, et quand sa mère, au surplus, s’accroupit dans son dos, il est submergé par un sentiment de bien-être remarquable.
« Toumi… » lui murmure-t-elle en posant un baiser tendre sur son épaule. « Toumi… di ko di kasou. Sta pla tama pla. Pla ! Pla ! » Puis elle s’empare de l’un des coquillages où une poudre rouge, fine, composée de minuscules cristaux, lui servira sûrement à pigmenter la peau du dos de Fantin. Quant à l’homme, qui, lui, s’est saisi du second gros coquillage, il y trempe ses mains qui en ressortent enduites d’un vert sombre et minéral. Aussitôt après, l’homme exécute des motifs linéaires et arrondis sur la poitrine de Fantin. Autour de son nombril, il dessine en pointillé plusieurs petits crânes humains imparfaits. Pendant qu’il tape sans ménagement sur le ventre reverdi par ses doigts, il lui explique, semble-t-il à Fantin, la signification des crânes ainsi ébauchés : « Oum sa sa ! Sa sa oum ! » Fantin n’y entend goutte mais son tatoueur a l’air si convaincant, en levant les bras vers le plafond de la grotte, qu’il le croit sur parole.
Afficher en entierTrente-cinq minutes plus tard, quand le crossover freina d’un coup sec devant la Clinique Astrid, Fantin n’avait toujours pas rouvert les yeux. Tibo s’était déjà extirpé de la place du conducteur tandis que Khris, d’une nonchalance inouïe, déverrouillait seulement sa portière. Trois internes, un homme, deux femmes, vinrent immédiatement à leur rencontre avec un brancard monobloc. D’une efficacité redoutable, ils allongèrent Fantin dessus et, pendant qu’ils traversaient le hall de l’établissement, l’une des internes grimpa sur la civière à chevauchons. Elle fut ainsi plus à son aise pour procéder aux étapes principales de son examen physique : les souffles cardio-vasculaires de Fantin étaient bons, ses intestins et ses poumons, a priori, n’en disaient pas le moindre mal. En fait, le garçon donnait l’impression d’être juste accablé de sommeil. C’était très inhabituel.
Afficher en entierSur le trajet du retour, Khris ne songeait qu’à trucider cette raclure de mademoiselle Fournet. Il aurait été capable de la dépiauter avec une application diabolique. Étendu sur la banquette arrière, le corps de Fantin était toujours d’une inertie inquiétante. Pourtant, sa respiration, comme Tibo l’avait déjà remarqué dans la roulotte, était normale. Bourré de drogues, Khris n’était qu’un spectateur impuissant et il ne servait à rien. Il fumait, clope sur clope. Pas plus. L’ambiance, dans la voiture, était très anxiogène.
Afficher en entierDès qu’il montra le bout de son nez dans la cuisine, sa mère, tablier autour de la taille et hachoir à la main, se retourna vers lui. Comme à l’accoutumée, d‘une voix effacée – pour faire contrepoids avec la raucité de celle de son mari – elle convia son fils à s’asseoir à la place qui lui était réservée. La position de chacun répondait à des impératifs absolus : en bout de table, le patriarche profitait tout son soûl du téléviseur, juché en hauteur, dans un recoin de la pièce. La mère, à l’affût de chaque requête des hommes de sa vie, n’avait que le bras à tendre pour empoigner sa marmite basse. Et quant à Fantin, ce repas-là, comme tous les autres, n’était à ses yeux que prétexte à se nourrir. Il savait qu’il n’en ressortirait rien d’exceptionnel, ni même rien d’à peu près intéressant ; mais il avait fini par en faire son deuil.
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