Extraits

Sans nul doute, la Britannique ne s’était pas fait que des amis ! Indifférente à l’opinion d’autrui et seulement soucieuse de sa tâche ô combien délicate, elle avait rédigé un rapport que nulle autorité compétente ne remettrait en cause.

Un rapport qui décidait des lendemains du pôle Nord et, en conséquence, de l’espèce humaine, même si sa grande majorité était inconsciente des enjeux. Comme d’ordinaire, le futur se décidait en secret et en petit comité, loin des caméras et des micros.

L’eau à la bouche, Kathleen Silway prépara des toasts qu’elle napperait d’un coulis de vraies tomates inondées d’une huile d’olive exceptionnelle, provenant d’un petit domaine de Sardaigne. Beaucoup ignoraient qu’il y avait autant de différence entre une huile bas de gamme et un produit authentique qu’entre une piquette et un grand cru ; la scientifique n’appréciait que son petit chef-d’œuvre artisanal, fabriqué avec des olives particulièrement goûteuses, dépourvues de tout produit chimique. Première pression à froid, certes, mais aussi qualité inégalable de l’olive, moulin datant du XVIIIe siècle et traitement à l’ancienne.

Jugeant superflu d’émettre le moindre commentaire, l’ex-inspecteur-chef se soumit aux injonctions de la gouvernante et goûta les délices d’une douche brûlante, sans trop traîner afin d’avoir le temps de se parfumer avec de l’eau de toilette Tradition Chèvrefeuille de chez Creed, fort prisée à la cour d’Élisabeth Ire, au XVIe siècle. Il se vêtit d’une chemise blanche sur mesure, d’un blazer bleu marine portant un écusson à ses armes et d’un pantalon de flanelle grise. Mary aimait qu’il s’habillât de manière décente et honorât ses talents de cuisinière.

La vieille Bentley du superintendant de première classe Scott Marlow, ami de longue date de Higgins, avait vaillamment effectué le trajet entre Londres et The Slaughterers, en dépit du vent, du froid et des bourrasques de neige. Elle préférait ces rudes conditions climatiques à la pollution de la capitale et appréciait les petites routes de campagne où elle respirait à pleins poumons ; à l’approche du domaine de Higgins, elle se sentait rajeunie.

Higgins avait choisi un grand vin italien, l’Amarone della Valpolicella Classico, originaire de Vénétie ; les raisins, dûment sélectionnés, séchaient à l’air dans des greniers et procuraient un cru à la fois puissant et velouté, à la robe rubis sombre. L’alliance des cépages, corvina, rondinella et molinara, était un franc succès, et Marlow, à la suite de son cinquième verre, se sentit revigoré.

Ce style d’entrée en matière annonçait un embrouillamini de première grandeur, assorti d’une dose d’hypocrisie maximale et de turpitudes savamment orchestrées.

La gouvernante désigna à Marlow quatre sacs en jute, munis de solides poignées.

– Le premier contient des courges, expliqua-t-elle ; haut taux de zinc indispensable contre la déprime ; le deuxième, du maïs riche en vitamine B1, productrice d’énergie et de bonne humeur ; le troisième, des lentilles, remplies de fer afin de vaincre la fatigue ; et le quatrième du chou-fleur, le roi de la vitamine C.

– Je vous remercie et…

– Et ça ne suffit pas ! L’allié décisif, c’est le miel.

Mary remit à Marlow une caisse contenant une dizaine de pots.

– Le miel d’acacia régulera vos intestins, précisa-t-elle ; celui d’eucalyptus dégagera vos voies respiratoires ; celui de châtaignier favorisera votre circulation sanguine ; celui de tilleul apaisera vos nerfs ; celui de thym vous protégera des infections ; celui de trèfle favorisera les efforts physiques prolongés ; celui de romarin soignera votre foie ; et celui de bruyère empêchera l’anémie. Il serait bon, dans ce pays, que la police soit en bonne santé ; les criminels, eux, sont en pleine forme !

Et si l'avenir de l'humanité se jouait au pole nord ?

Après de longues et d'intenses années d'études consacrées à cette région du globe à la fois hostile et envoûtante, Kathleen Silway en était persuadée.