Extraits

Tous les oiseaux s’étaient envolés. Le chien s’assit sur son derrière, sa belle langue rose pendante, et regarda Higgins qui venait d’ouvrir sa fenêtre.

— Bravo, mon Geb !

Geb, le dieu de la Terre pour les anciens Égyptiens, mais aussi l’abréviation de Guiding Eyes for the Blind, « Guider les yeux pour les aveugles », une association de formation de chiens-guides. En cette circonstance, Geb avait sauvé un pic épeiche qui n’avait pas d’yeux dans le dos.

Parmi ses innombrables dons, Mary avait celui de savoir ouvrir des plis à la vapeur et de les refermer sans laisser de trace. Comme elle connaissait probablement le contenu de la missive, Higgins lut à haute voix le texte imprimé, sans signature :

Cher inspecteur,

Je ne sais trop comment vous aborder et vous convaincre qu’il s’agit d’une affaire criminelle extrêmement sérieuse, dont je souhaite vous parler en tête à tête, et en toute confidentialité.

Une voiture vous attendra devant chez vous, mercredi à onze heures, pour vous emmener à l’auberge du Lion d’or où j’ai réservé une table.

Je fais confiance à votre intuition pour percevoir que mon invitation n’est pas une mauvaise plaisanterie, et j’espère avoir l’honneur de vous rencontrer pour vous exposer des faits d’une gravité exceptionnelle.

Le maître d’hôtel tira la chaise, Higgins s’assit.

— Puis-je proposer une coupe de champagne à ces Messieurs ?

— Volontiers, répondit le sexagénaire, souriant, qui attendit d’être servi avant de reprendre la parole. Vous n’avez pas hésité entre les deux seules tables possibles, inspecteur. Le flair ou la chance ?

— L’autre homme seul semble très énervé, car il redoute que son invitée ne lui ait posé un lapin. Votre calme, au moins apparent, correspond à la pondération de l’auteur de la lettre qui m’a été adressée.

— La pleine mer, dit Squale, quel merveilleux souvenir ! J’ai navigué sur tous les océans et je me suis attardé sur les eaux qui abritaient des requins, le modèle des tueurs. Chacune de leurs narines contient deux canaux, par où pénètre l’eau qui atteint des surfaces olfactives d’une incroyable sensibilité. Elles perçoivent les odeurs les plus infimes, dont celle du sang. Alors se déclenche un fabuleux mécanisme qui informe le cerveau du requin de la nature de la proie et de son emplacement. Prodigieux, non ?

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Vous avez la réputation d’être un homme de parole, une espèce rarissime à notre époque. D’abord, jurez-moi que vous garderez pour vous mes aveux, que vous ne me dénoncerez pas à Scotland Yard, que vous ne chercherez à me coincer d’aucune manière, que vous ne me ferez pas filer. Votre serment prêté, je vous raconterai mon premier crime, vous mènerez l’enquête à votre guise, et vous tenterez de m’inculper… En vain ! Ensuite, nous passerons au deuxième, et ainsi de suite jusqu’au dernier.

Nous parvenons au point délicat, inspecteur. En effet, je suis un prédateur, un grand prédateur, digne d’un requin. J’ai exercé une bonne quarantaine de métiers à travers le monde, avec la même ligne de conduite : mentir, voler et m’enrichir. Étant profondément chrétien, je me confesse souvent, et dès que j’ai reçu l’absolution, je recommence à pécher. Puisque le Christ, le pape et la justice des hommes sont bienveillants envers les auteurs de délits, pourquoi m’en priverais-je ? Avant de mourir, un parrain de la mafia ne reçoit-il pas l’extrême-onction qui l’envoie au paradis ? L’argent, c’est une chose ; le plaisir, c’en est une autre. Je l’ai découvert en tuant.

Au cours de ma carrière, ajouta-t-il, j’ai souvent changé de nom, et je possède aujourd’hui six passeports, quatre authentiques et ,en règle, et deux faux. De plus, j’ai un certain don, parfois fort utile, pour changer d’aspect. Aujourd’hui, j’ai adopté le plus ordinaire. Si nous nous revoyons, vous aurez peut-être du mal à m’identifier. Vous, comme prévu, êtes fidèle à votre élégance renommée. J’ai mené une longue enquête, et je sais tout de vous, inspecteur.

Cher inspecteur,

Je ne sais trop comment vous aborder et vous convaincre qu’il s’agit d’une affaire criminelle extrêmement sérieuse, dont je souhaite vous parler en tête à tête, et en toute confidentialité.

Une voiture vous attendra devant chez vous, mercredi à onze heures, pour vous emmener à l’auberge du Lion d’or où j’ai réservé une table.

Je fais confiance à votre intuition pour percevoir que mon invitation n’est pas une mauvaise plaisanterie, et j’espère avoir l’honneur de vous rencontrer pour vous exposer des faits d’une gravité exceptionnelle.