Extraits

L'âme remuait légèrement dans son filet. De la taille d'une grosse grappe de raisin, elle pesait moins lourd qu'un rouleau de papier toilette.

Les gens hurlèrent et coururent se mettre à l'abri, loin des gravats de béton et des parties du corps éparpillées, les membres de monsieur Tremblay gisant, séparés du reste de son corps lui-même aplati sous le bloc de béton comme une crêpe à la framboise juteuse.

Quelqu’un a essayé de me sauver ?

« Vous voyez ? Vous êtes morte », continua le chimpanzé sur un ton neutre, dans lequel Kara perçut comme un soupçon d’amusement.

Elle s’approcha furtivement du rebord de sa fenêtre. Le parquet en bois était frais sous la plante de ses pieds. Elle appuya sa tête contre les carreaux et regarda à l’extérieur. Près de vingt corbeaux étaient perchés dans les grands érables. La tête penchée, ils croassaient en direction de quelque chose au-dessous, que Kara ne pouvait pas discerner. Elle essaya de voir à travers les branches. Un frisson lui parcourut l’échine.

Ils s’approchèrent de la première rangée de bassins. L’air était empesé de sel. De lourds splash et ploc retentissaient tout autour d’eux. Kara leva les yeux et aperçut le groupe 2, Lindsey Steel et Carlos Lopez, qui se tenait sur le rebord d’un bassin. Leurs lèvres remuèrent en chœur — et ils sautèrent. Dans un bloup, ils atteignirent en même temps la surface de l’eau. Une seconde plus tard, des éclairs lumineux transperçaient l’eau comme ils disparaissaient.

Une femme se leva. Ses cheveux roux bouclés descendaient en cascade dans son dos. Sa toge était verte, et sa peau laiteuse brillait légèrement. « Nous comprenons votre inquiétude, Zadkiel. Mais en de telles circonstances, j’estime qu’il est de notre devoir, en tant qu’aînés de ce conseil, de rechercher la vérité et de faire confiance en nos gardiens. D’après ce que Gabriel nous en a dit, elle n’avait nullement connaissance de cette marque auparavant. Nous n’avons aucune preuve qui la lie à une quelconque activité démoniaque. Il est possible que les démons l’aient Marquée sans qu’elle le sache. Sans aucune preuve — je me dois de croire qu’elle est innocente. »

Elle essaya de percevoir quelque chose au-delà de sa coquille semi-transparente. Des silhouettes de bulles flottaient tout autour d’elle. Elle baissa les yeux pour se regarder. Ses habits avaient disparu. Elle était complètement nue. Elle se balança, à l’intérieur de sa bulle, donnant des coups de jambe et battant des bras.

Il y eut un plop soudain — Kara sentit que la bulle se rompait sous elle, elle glissa et tomba dans un bassin rempli d’eau. Elle remonta à la surface, où des seaux de cette substance gélatineuse continuaient de se déverser sur elle.

Kara serra les lèvres. « Tu l’as bien cherché, Casanova. »

Ils atteignirent le parc après une courte promenade. Seule la lune les éclairait, ainsi que les lumières vacillantes de l’entrée du parc. Les arbres projetaient de longues ombres fantomatiques sur le sol. Des grillons chantaient leurs mélodies stridulantes dans la nuit, dans l’espoir d’attirer les femelles. Un raton-laveur de la taille d’un petit chien profitait du festin qu’offraient les poubelles de la ville. Il siffla en les entendant passer.

« Euh — c’était quoi ça ? » dit Kara, toujours tournée en direction de Benson. « On a l’impression que vous allez vous étriper tous les deux. » Elle se retourna vers David.

Son regard croisa le sien. « Rien qui vaille la peine d’en parler. Benson est un abruti. »

En un instant, Benson s’était pincé le nez, avait plié ses genoux et avait sauté dans l’eau. Le reflet de son corps s’attarda un moment dans l’eau troublée, puis on le vit tournoyer à l’horizontale. Quelques secondes plus tard, son corps tout entier étincelait d’une lumière blanche éclatante. Puis Benson s’évanouit. À peine avait-il exécuté sa scène de disparition qu’un autre ange gardien se hissait sur le bord et plongeait à son tour. C’était comme regarder tomber des dominos ; les anges continuaient à sauter dans les bassins, les uns à la suite des autres.

Des bruits de chocs retentissants ainsi que des grincements se faisaient entendre tout autour d’eux. Kara jeta un œil vers une pyramide. Des centaines de gros camions de chantier déversaient d’immenses quantités de sel sur le sol. Les véhicules entraient directement dans les pyramides et en extrayaient le sel à l’aide de longs tuyaux métalliques, tels des aspirateurs géants. Sur les camions se trouvaient d’imposants récipients en verre sphériques, qui se remplissaient de sel. Son regard tomba sur les conducteurs. C’était les mêmes enfants aux cheveux jaunes que ceux de la Salle des âmes.