Extraits

« À mon avis, déclare Hoa d’une voix lente, ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on a le droit de choisir la manière dont il nous aime en retour. »

Tout le monde considère les orogènes comme très puissants, donc terrifiants, et ils le sont. Nassun est à peu près sure qu'elle pourrait rayer l'Antarctique si elle en avait vraiment envie, quand bien même le saphir lui serait sans doute nécessaire pour ne pas perdre la vie ce faisant. Mais, si puissante soit-elle, elle n'en reste pas moins une petite fille. Et, en tant que petite fille, elle a besoin de manger et de dormir -- parmi d'autres gens, pour avoir le moindre espoir de continuer jour après jour à manger et à dormir. Les gens ont besoin les uns des autres pour vivre. Si elle obligée pour vivre de se battre contre tous les communs... Contre toutes les chansons, toutes les histoires, les Gardiens, les milices, la loi impériale et jusqu'à la lithomnésie... Contre un père incapable de concilier fille et gèneuse, contre son propre désespoir, lorsqu'elle songe à la tâche gigantesque que représente le seul fait d'essayer d'être heureuse...

Que peut l'orogénie contre ça ? Lui permettre de continuer à respirer, peut-être. Mais respirer n'est pas forcément synonyme de vivre. Peut-être... peut-être un génocide ne se traduit-il pas toujours en cadavres.

Je me rappelle en cet instant pourquoi je continue à raconter cette histoire de ton point de vue plutôt que du mien : parce que, de l'extérieur, tu te caches trop bien. Ton visage est inexpressif, ton regard voilé, mais je te connais. Je te connais. Voici ce qui se passe en toi.

Réfléchis avec autre chose que l'égoïsme d'un enfant, petite Nassun. Et pose-toi la question : quand bien même je pourrais t'aider à sauver le tas de merde sadique et autoritaire qui te sert en ce moment de figure paternelle adoptive, pourquoi le ferais-je ? Mon pire ennemi en personne ne mérite pas un destin pareil. Personne ne le mérite.

- Sch...Schaffa a peut-être envie de vivre, balbutie courageusement la fillette, qui pourtant tremble encore.

- C'est possible, mais le devrait-il ? Existe-t-il t-il une créature qui devrait vivre à jamais ? Telle est la question."

Voici donc les orties. À l'époque de notre décantation, quand nous étions encore à apprendre à nous servir de la langue inscrite dans notre cerveau pendant notre phase de croissance, une contrôleuse nous a raconté une histoire où il était question de l'endroit où on nous enverrait si, pour une raison ou pour une autre, nous devenions incapables de travailler. Nous étions alors quatorze. On nous emmènerait, nous a-t-elle dit, quelque part où nous continuerons à servir le projet, indirectement.

" C'est un endroit tranquille", avait-elle assuré. Je me rappelle clairement cet instant. Elle souriait. " Vous verrez."