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Cependant tout en elle était taillé ample, dru, généreux comme une moisson d’abondance. Elle avait de bonnes grosses joues rouges, des joues d’enfant de la campagne, des pommettes hautes, écartées, un visage modelé en plans larges et sereins, des yeux, quand enfin on les pouvait voir sans pénombre et sans mystère, c’est-à-dire quand d’un revers de main elle rejetait la tignasse d’encre vers l’arrière pour, aussitôt, d’un coup de tête de chèvre, la mieux ramener sur le front – le moment propice était donc bref –, des yeux invraisemblablement grands, presque trop, oui, bon, un peu saillants, disons, ardents, un peu hallucinés, des yeux qui ramenaient tout à eux, brûlaient tout à leurs soleils verts. Nul besoin de les cerner de noir, ils dévoraient le visage, ils annulaient le monde, il n’y avait plus qu’eux. N’empêche que, du noir, elle en mettait, et à la pelle, alors, pensez !

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Elle en a un autre, il viendra plus tard, sourire des deux joues plein la figure. Comment décrire ? Éclatant et sinueux, c’est ça, les deux à la fois. Le sourire de Charlie Chaplin, si Charlot avait été une femme. Avec encore plus de choses dedans. Des harmoniques à l’infini… Yeux cependant attentifs, prêts à arrêter net la sympathie offerte, comme on referme un parapluie, prêts aussi à se laisser basculer dans le grand rire aux larmes, l’un ou l’autre, c’est selon l’accueil d’en face.

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Elle était effectivement très grande. Pas aussi grande que ça, quand même. Elle rehaussait son mètre soixante-quinze par des talons de quinze centimètres sur lesquels elle oscillait, pieds en dedans, comme la pisseuse montée en graine qui a fauché les escarpins de maman pour aller au bal.

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Le passage était étroit. Il fallait ou bien la contourner en raclant le mur, ou bien attendre qu’elle s’efface. Reiser me voit, s’accroche à la bouée. Présentations. Gabrielle et quelque chose de très long derrière, au moins six syllabes, avec un trait d’union ici ou là. Je reçois ses yeux en pleine figure.

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Au fond de la cour, à l’écart, mon bureau de rédacteur-en-chef : une petite piaule en rez-de-chaussée, presque enterrée, une planche sur deux tréteaux, un matelas mousse par terre dans un coin, une douche, un réchaud. Tout ce qu’il faut. Un cocon. Un ventre-de-ma-mère. Et, submergeant tout, un vorace océan de bouquins, de paperasses et de lettres de lecteurs annotées « Urgent ! Répondre ! », une marée de remords qui montait, montait, et jamais ne refluait. Des volets de bois plein toujours clos. Pour travailler, il me faut la nuit tout autour. Pour ne rien foutre aussi. Ces volets clos intriguaient beaucoup les habitants de la cour.

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Nous étions Hara-Kiri, nous étions Charlie-Hebdo, la Mecque de la marginalité, les papes du non-conforme, tout ce qui se voulait contre se tournait vers notre astre noir, et donc ces vaillantes laboureuses du champ social décidées à secouer la routine et à bousculer les idées reçues devaient tôt ou tard, en ces bouillonnantes années de l’après-soixante-huit, frapper à notre huis, rue des Trois-Portes.

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Elle était venue quémander des dessins et des conseils. Un peu de pub-copinage, aussi. Entre marginaux, on se soutient. Elle lançait, avec des copines, un journal destiné aux vieux et à ceux qui font métier de s’occuper des vieux. Destiné comme un coup de pied est destiné aux fesses : pour les réveiller. La pantoufle enragée, « Journal des vieux qu’ont pas froid aux yeux ». Ça s’appelait comme ça. Très ambitieux, très courageux. Sans le sou. Vogue la galère.

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L’homme, même s’il prétend le contraire, même s’il croit le contraire, n’a pas cette pendule dans les entrailles. L’homme reste un vieux maraudeur qui veut tirer son coup, et poser sa joue sur quelque chose de chaud et de vivant, et pleurer en pensant à sa vie ratée. L’homme est un petit homme triste.

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Les refaiseuses de vie, les redémarreuses à zéro-mais-cette-fois-c’est-la-bonne… Elles sont sans pitié, petit homme, car il y va de leur peau. Fuis. Ou sois sans pitié toi-même. Si tu le peux. Mais tu ne le peux pas, petit homme triste, tu ne le peux pas. Alors, fuis, cours, vite et loin, sans te retourner.

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« Trente-cinq ans. L'âge des ogresses qui rôdent, claquant des mâchoires. L'âge des mantes religieuses. Les redoutables divorcées de trente-cinq ans. Petit homme triste qui rêves d'un gros doux cul pour y poser ta tête, petit homme triste, si tu en vois une à l'horizon, fuis à toutes jambes, fuis ! »

Le héros des Ritals, des Russkof, de Bête et Méchant raconte dans Les yeux plus grands que le ventre comment on devient un amoureux impénitent. Les femmes et Cavanna, ce n'est pas triste, même si c'est, quelquefois, tragique.

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