Extraits

Il cherche quoi répondre quand le téléphone sonne. Le capitaine décroche, hoche la tête et passe le combiné à Donnelli.

– Alors, pas trop sonné par la nouvelle ?– Ne me cherche pas, Gouda, s’il te plaît.

– Encore un petit scoop du Fliegende Holländer. Prends le cliché numéro 8, demande une loupe à quelqu’un, et regarde derrière l’oreille droite.

– Quoi ?– Prends une loupe et regarde, je te dis...Donnelli reprend le dossier et observe le cliché numéro 8, sur lequel il devine un minuscule tatouage derrière l’oreille de Martha. Mais ses yeux le trahissent et il ne parvient pas à déchiffrer ce qui est écrit.

– Mankato, tu peux lire ce qu’il y a écrit, là, s’il te plaît...Elle se penche sur la photo, s’applique, et règle la distance de la loupe.– BLOOM quelque chose, BLOOMBERG je crois.– Bloomberg, répète Donnelli dans le combiné.– C’est ça, mais regarde de plus près le deuxième « O ».Donnelli passe la consigne à Mankato qui déchiffre à son tour.– Ah oui, il y a un petit « c » à l’intérieur du second « O ».

– Exactement, jubile le légiste à l’autre bout du fil. Son chirurgien de second mari, celui qui t’a cocufié, a marqué ton ex de son copyright !Il raccroche, apparemment très content de lui, et laisse Donnelli avec l’improbable nouvelle : un type a copyrighté son ex !

Dans ses yeux rieurs et sans émotion à la fois, dans son pas tranquille mais confiant, dans sa poignée de main chaleureuse mais ferme. Donnelli s’est déjà frotté à ce genre de prédateur. Il en garde les cicatrices, dans sa chair autant que dans sa fierté. Il en a terrassé quelques-uns, au prix de combats éprouvants. Il les a fait trébucher quand ils descendaient dans les gorges sombres de la ville, sûrs de leur invulnérabilité. Se croyant intouchables. Il a utilisé contre eux toute sa fourberie, toute sa mauvaise foi, ses mensonges, ses chausse-trappes, ses pièges. Il leur a tenu la tête contre le trottoir sous sa semelle vengeresse. Puis il les a regardés remonter vers leurs sommets lumineux, comme des archanges arrogants et moqueurs, échappant aux enfers dont des puissants enrichis les ont à chaque fois libérés. La vie de flic, à New-York !

En bas, c'est l'appétit de la ville, en haut ce sont ses rêves, mais pour donelli, comprendre cette ville, c'est la regarder du dix-septième étage.

C'est ce moment de silence que choisit la Big Mama de Big Mama's Wreck Yard pour surgir de la nuit en vitupérant. Une lourde et forte femme noire aux yeux fous de colère, aussi large que haute, costaude comme un mécano dans une salopette maculée de cambouis. Elle est armée d'un démonte-pneu et d'un strabisme divergent à donner le mal de mer à un sauveteur marin.

_ Dis donc, connard, t'as vu des roues là-dessous, toi ? T'as vu des pneus ? Des suspensions ? Tu crois que la flotte, c'est de l'asphalte ? Je vais te dire une chose, mec, ça va tellement te botter le cul à la moindre vague que même à quarante nœuds tu vas me supplier de ralentir, pauvre pomme !

_ Il a raison, confirme Goran dans un éclat de rire, un engin comme ça dans les mains de Mickey, ça te désosse unmec rien qu'en tapant sur la flotte.

- Comment fait-on pour dire adieu à quelqu'un qu'on ne reconnaît pas ? murmura Donnelli.

- On regarde mieux.