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Et s'il n'est pas trop tard alors, si aucun autre visiteur n'est venu, si le prêtre semble disposé à l'écouter, Marya se confiera à lui comme elle l'a fait dans le passé. "Qu'est-ce qui vous perturbe, Marya ?" demande t-il ; la douceur de sa voix, son attention souriante lui donnent envie de s'agenouiller devant lui, de presser son visage brûlant contre ses mains, de renoncer à sa fierté, sa rage son malheur... à tout ce qu'était Marya, la condamnant à la malédiction.
Elle est désespérément seule, mais elle hait les autres ; elle déteste qu'on la touche ; parfois un simple mot, un sourire, une minauderie suffisent à la faire frémir. Elle se jure de ne rien oublier et de se venger un jour.
Elle ne hait pas les autres, c'est faux. (Elle ment tout le temps, un mensonge entraîne l'autre, en un cycle inépuisable). En réalité, elle est malade de jalousie, elle se ronge d'amour, elle est épouvantée... Elle aimerait s'abaisser (s'humilier ?) en la présence des autres... C'est elle-même qu'elle déteste vraiment : Marya stupidement fière de son intelligence, Marya et son corps répugnant, innommable.
Afficher en entierLes murs étaient ornés de dessins au fusain qu'elle avait faits, des croquis de personnages imaginaires et quelques autoportraits; quand elle était trop tendue ou excitée pour dormir après des heures d'étude ou après un examen, elle prenait un crayon et dessinait ce qui lui passait par la tête - les doigts animés d'une énergie étrange, sporadique. Les murs lui renvoyaient le reflet austère de son propre visage. Les pommettes marquées, les yeux noirs, les sourcils touffus... Elle s’enlaidissait volontairement; c'était une consolation, une forme de vanité inversée. Qui est-ce? demanda une fois l'une des filles de l'étage. Un homme? Une femme?
Afficher en entierMarya nota un aphorisme de Nietzsche. Les expériences terribles posent le problème de savoir si ceux qui les traversent ne sont pas eux-mêmes une chose terrible.
Afficher en entierElle aimait lire pour le plaisir quand elle avait fini son travail ; ses lecteurs de la nuit tenaient de l'enchantement, lui procuraient une satisfaction qu'elle ne trouvait jamais dans la journée. Une joie illicite, infiniment précieuse. Il lui semblait à ces moments-là qu'elle échappait à sa propre conscience pour se glisser dans celle de l'auteur... dans le rythme de sa prose. Désincarnée, entièrement absorbée, elle traversait le paysage imaginaire d'un autre, s'apercevant qu'il ressemblait au sien, tout en étant absolument différent -surprenant, intrigant, irrésistible.
Afficher en entierElle s'évadait, elle était là sans y être, ailleurs devint un lieu familier, hors de la lumière et de l'ombre.
Un espace creux, réel, où elle pouvait se blottir. Elle y respirait, écoutant le battement paisible de son coeur. Là, elle ne pouvait être surprise ni blessée, elle ne risquait pas d'entendre les paroles qui ne lui étaient pas destinées.
Afficher en entierSeulement après sa mort Marya devint jalouse de sa femme qui était maintenant sa veuve et le resterait toute sa vie. Tandis que Marya Knauer n'était rien et n'avait aucun droit légitime ni sentimental.
Afficher en entierA ces moments-là Marya jouissait de son anonymat; elle se sentait invisible. Elle murmurait des réponses, donnait des conseils, le consolait, l'approuvait, sympathisait avec lui. Alors il ne la voyait pas - il ne la jugeait pas. Elle n'avait pas besoin d'être brillante, vive, impitoyable, de jouer un rôle comme au cinéma, elle pouvait se détendre dans ses bras, se laisser embrasser, caresser, l'écouter poursuivre des discussions éternelles avec les autres - son père, ses amis - par son intermédiaire.
Afficher en entierPeut-il y avoir de l'amour, si le mot lui même n'est jamais prononcé ; s'il reste au fond de la gorge...? Se demande Marya.
Afficher en entierPeu à peu elle se rend compte qu'il existe deux " temps " dans sa vie. L'un est vibrant, passionnant (les heures qu'elle passe avec Maximilian), l'autre est morne, dénué de couleurs (les heures où elle est séparée de lui- qui constituent la plus grande partie de son expérience). Une histoire familière, songe-t-elle - une femme qui ne peut s'accomplir que grâce à un homme. Comme si elle n'avait pas d'âme à elle.
Afficher en entierLes actes commis dans la décharge - par les enfants les plus âgés à l'égard des plus jeunes - n'étaient jamais évoqués au-dehors. Il existait une logique secrète inhérente au lieu, semblable à celle qui régnait dans la cour d'école ou sur le chemin de halage, où les adultes ne venaient presque jamais.
Un no man's land, un monde clos où le langage n'avait pas cours, où la seule issue était la fuite, si l'on courait assez vite ; ou la soumission.
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