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II se versa une autre tequila. Le remous de liquide enveloppa la rondelle de citron, au fond du verre. Tequila gold. Combien déjà ? Sans doute un peu trop. Matt répondit, d'un sourire, à celui de Cat-Cathy, qui passait. Il alla reposer la bouteille sur la table.
- Tu fais le plein ? demanda le nouveau copain de Cat-Cathy. Vous en avez prévu, dans les rations alimentaires de survie ?
- Naturellement, dit Matt. Et des citrons verts lyophilisés pré-salés. Le must.
Le type s'appelait Lido - et non pas Ludo, il le précisait chaque fois qu'il se présentait -, genre chemise blanche-cravate en toutes occasions, le cheveu savamment flou, le bagou haut placé, œil de velours à la demande, mâchoire volontaire, sourire superman : un connard. Où donc Cat-Cathy était-elle allée le pêcher, celui-là ? L'espace d'une fraction de seconde, Matt crut voir vaciller l'assurance de Lido-pas-Ludo, une fragilité dans l'œil, hésitant entre sérieux et plaisanterie.
Matt tourna les talons.
C'était quoi, cette angoisse ? Cette lourdeur pesant sur le plexus, que ni l'alcool bu, ni la musique, ni l'ambiance agréable flottant sur la réunion d'amis ne parvenaient à dissiper - pourquoi ? Ce pot de départ offert aux très proches n'étaient peut-être pas la meilleure idée qui fût. Mais le moyen d'y échapper ?
A chaque fois, avant de plonger dans une nouvelle expédition, Matt donnait une petite fête. La première, quelques années auparavant, tombant le jour de son vingt-deuxième anniversaire, avait été placée sous le signe du "si je n'en reviens pas". C'était à l'occasion de la tentative de traversée de l'Australie en ballon. Tentative réussie, merci, film de 52' à la clef vendu à pratiquement toute les télés de la planète. Ensuite, la cérémonie du "si je n'en reviens pas" était passée au stade rituel incontournable.
Le septième en l'occurrence. Sept, chiffre magique, porte-chance. Septième expédition et la promesse d'un film qui battrait des records. Matt Garden et trois autres cinglés du même acabit tentaient la traversée de l'île du Vestspitsbergen, dans l'archipel arctique norvégien du Svalbard. A pied. Façon survie. Pratiquement trois mois prévus pour la promenade, en espérant être revenus des brouillards avant la nuit de l'hiver polaire.
Le départ, dans moins de huit jours.
Pourquoi cette angoisse ?
- T'as l'air soucieux, remarqua Marie-Fa.
Elle avait l'air, elle aussi, prête à compatir dans la seconde. Plus jolie que jamais aux abords de la trentaine. Une femme fluide. Des yeux verts comme si c'était la seule couleur possible, à l'évidence. Jamel disait qu'elle lui avait sauvé la vie le jour où ils s'étaient croisés sur le trottoir, devant la boutique ouverte de l'Arabe, à trois heures du matin. Il n'exagérait sans doute pas : il avait bel et bien la tête et l'allure d'un type dont la vie est sauve pour un fameux bout de temps. A quelques pas de là, au bord de la musique qui s'échappait des enceintes, il croisa le regard de Matt et tous deux levèrent, discrètement, leur verre.
- Ça va, dit Matt. Je picole trop, trop vite, comme à chaque fois, en prévision du manque. Le copain de Cat-Cathy, qui est un futé de première, l'a deviné.
- Ha ha, dit Marie-Fa, sans rire.
- Où elle l'a déniché ?
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