Si vous souhaitez fonder une ville, vous avez le choix entre deux méthodes :

I: Celle de Romulus consiste à prendre un boeuf, une vache et une charrue et à tuer son propre frère ! Efficace mais un peu expéditif !

II: La seconde méthode, nous la devons à Didon, princesse phénicienne qui fonda Carthage. Elle exige plus de subtilité :
a) Choisir un lieu agréble.
b) Demander poliment à ses frères l'autorisation de délimiter un territoire de la taille d'une peau de boeuf... C'est si modeste qu'on ne saurait vous le refusez.
c) Prendre son air le plus innocent et découper ladite peau en fines lanières qui, mises bout à bout, permettent de délimiter un royaume d'honnête taille.

Nous ne saurions trop vous conseiller d'utiliser la seconde méthode qui évite un bain de sang inutile.

Extrait du livre :
"- Meine Güte, c'est une maison mortuaire, ici ?
Lotte Goudriaan fut brusquement tirée d'une agréable somnolence, une vague léthargie : malgré l'âge, ne plus sentir son corps. Les yeux mi-clos, elle suivait la silhouette ronde, nue comme elle sous un peignoir de bain d'un innocent bleu pâle, qui venait de fermer bruyamment la porte derrière elle. Visiblement contrariée, la femme avançait en se dandinant dans la pénombre de la salle de repos, entre deux rangées de lits vides, hormis celui où Lotte reposait - vieux corps ressassant à l'infini la maladie, étendu dans des draps impeccables. Elle se renfonça instinctivement dans le lit. La langue dans laquelle la femme avait proféré sa remarque déplacée était l'allemand. De l'allemand ! Que venait faire une Allemande ici, à Spa, où la moindre place, le moindre jardin public affichaient, gravée dans la pierre d'un monument, la liste des morts des deux dernières guerres ? Les stations thermales abondaient dans son pays, alors pourquoi Spa ? Lotte ferma les yeux, bien décidée à ignorer les allées et venues de la femme en concentrant son attention sur le roucoulement des pigeons qui, invisibles derrière les replis soyeux des stores blancs, s'attroupaient sur les corniches et dans les cours de l'Institut thermal. Mais le moindre mouvement de l'Allemande constituait une véritable provocation sonore. Lotte l'entendit soulever les couvertures d'un lit en face du sien. Puis s'allonger, bâiller et pousser un formidable soupir ; même lorsqu'elle fut enfin étendue, immobile, pour s'adonner au repos prescrit, le silence qui s'ensuivit fut douloureux aux oreilles de Lotte. Elle avala sa salive. Une tension qui nouait son estomac lui remonta dans la gorge, une nausée mentale qui l'avait déjà assaillie la veille, alors qu'elle était plongée jusqu'au cou dans un bain de tourbe."