Nous, les enfants de 1964

Chers enfants de 1933,

Si, comme tout le monde, nous sommes nés sans trop choisir notre époque, notre génération est plutôt bien tombée. C'était un temps où l'on ne badinait pas avec les trois repas quotidiens, les vacances en famille et les «bonjour, madame». Une époque marquée par la fin des années de Gaulle, de nombreux bouleversements sociaux (exode rural, nouvelles banlieues), un confort nouveau (premières autoroutes, Salon des arts ménagers), les premiers pas de l'Union européenne...

À l'époque, nous nous voulions «modernes». Nous étions confiants : l'avenir était radieux. Le futur ressemblait à l'Amérique, avec ses ouvriers prospères, ses villes verticales, ses voitures chromées, ses enfants bien nourris aux corn-flakes et au lait pasteurisé. Le virus du sida, le chômage de masse (la France ne comptait encore que 24 000 chômeurs) et la mondialisation étaient encore loin.

Pendant que nos parents s'ébattaient dans la société de consommation naissante - Papa achetait une nouvelle voiture et une montre Kelton, Maman un blouson Courrèges et un robot ménager à durée de vie prédéterminée -, nous, les enfants, nous lisions Le Journal de Mickey. Bientôt viendraient ET., la mode des Kickers et des Stan Smith, Madonna, Michael Jackson, et le crâne chauve de Mitterrand sur nos écrans de télévision, un certain soir de mai 1981.

Et pourtant, comment le dire autrement, le bonheur nous a semblé un peu inaccessible. Pour nous, il était directement lié aux choses que l'on acquiert, au culte du paraître. C'était une drôle d'époque, où la règle était de désirer toujours plus que ce que l'on pouvait acquérir. Mais était-ce vraiment hier ?