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— Éliane a préféré rester à Yspareille, dit doucement Ilan.
Le demi-faune baissa les yeux vers le bébé avec un sourire forcé. Certaines plaies ne cicatriseraient sans doute jamais. Il en savait quelque chose. La petite fille tendit ses mains minuscules pour attraper son index lorsqu'il l'agita devant elle.
Afficher en entierMais n'était-ce qu'un moment d'égarement ? Elle revenait sans cesse sur la question, comme on triture une blessure mal cicatrisée, au risque d'en arracher la croûte. Tu ferais une bonne passeuse, avait dit Capricorne. Pourquoi pas ? Elle pouvait fabriquer d'autres canons de poche. Gagner sa vie en semant la mort plutôt qu'en vendant du rêve. Avec lui... Elle trébucha sur une racine tordue et se rattrapa de justesse au bras solide du passeur. Il laissa sa main autour de sa taille juste un peu plus longtemps qu'il n'était nécessaire. Ce soir, se promit Éliane. Ce soir, ils parleraient à cœur ouvert puis elle prendrait sa décision.
Afficher en entierHébétée, elle contempla le morceau de cristal dans sa main. Il n'avait rien perdu de son éclat. Elle l'enfouit dans sa poche et tenta de s'orienter. Par où était-elle arrivée ? Chaque arbre ressemblait au suivant. Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle les refoula et s'efforça de réfléchir de façon rationnelle. La lune se couchait à l'horizon. Au moment où ils étaient entrés dans les marais, elle se levait. Logiquement, en lui tournant le dos, elle devrait revenir sur ses pas. Les doigts crispés autour du cristal dans sa poche, elle s'éloigna des arbres merveilleux.
Afficher en entierLa jeune fille fit mine de vérifier son canon pour masquer son trouble. Le sable avait enrayé les minuscules éléments : elle était bonne pour tout démonter, nettoyer et remonter. Pourtant, un tout autre sujet occupait ses pensées. Capricorne l'avait appelée par son prénom. Et il avait rendu hommage à son courage. Elle ne se sentait pas du tout courageuse. Résister aux larmes lui demandait une concentration de tout instant. À vrai dire, elle se serait sentie beaucoup mieux si elle avait pu se coucher par terre et hurler tout son saoul. Mais la fierté l'en retenait, du moins tant que les passeurs se trouveraient à proximité. Elle plissa les yeux pour distinguer le paysage. Ilan lui avait dit que la vue s'adaptait à la pénombre, au bout d'un certain temps. Après plusieurs années en tant que passeur, il n'avait plus besoin du bâton-lumière pour se repérer.
Afficher en entierSuffoquée, Éliane en resta sans voix. Jamais on ne lui avait adressé de proposition aussi inconvenante. D'après l'expression de la dame replète, celle-ci estimait que la faute lui en revenait. Elle ne devait pourtant pas avoir l'air très attirante dans ses vêtements de voyage, couverte de la poussière du chemin. Pourvu que le bain soit compris dans le prix des chambres !
Afficher en entierÉliane se tassa d'instinct contre le demi-faune. Il sentait la terre fraîche, songea-t-elle vaguement, l'herbe froissée et un troisième parfum qu'elle ne parvenait pas à identifier. En face d'elle, la femme replète murmurait frénétiquement des prières. Sa fille se cramponnait au pendentif qu'elle portait au cou – un bijou de très mauvaise qualité, ne put s'empêcher de noter Éliane. Le maître caravanier scrutait l'eau tout en jouant avec le manche de son poignard. Les flots s'écartèrent devant la barge dans un froissement de draps mouillés.
Résolue à ne pas regarder le fleuve, Éliane conserva le regard baissé sur ses bottes, couvertes d'une fine poussière cendreuse. Elle se demanda si celles de Capricorne, juste à côté, cachaient des sabots, puis, honteuse, refoula bien vite cette question futile.
Afficher en entierÉliane avait déjà dépassé le seuil. Au-delà du halo de lumière projeté par la tour s'étendaient les ténèbres. Elle resserra le col de sa veste. L'auberge du Lion d'or se dressait à quelques pas de là, au bout d'un sentier cabossé. Une rangée de cinq chameaux attendait devant. La jeune fille grimaça. Elle aurait dû se douter que l'agence n'avait pas de quoi se payer des chevaux. Deux jeunes hommes s'affairaient autour des montures. Quand le plus proche se retourna, elle vit que deux cornes recourbées ornaient son front. Elle se cramponna plus fort à la poignée de son sac. Peu importaient les difficultés du chemin. Son destin l'attendait au bout.
Afficher en entierÉliane lissa de la main la lettre froissée, usée au point que le papier en était devenu pelucheux. L'encre s'effaçait par endroits. La jeune fille serra les poings. Elle avait bien trop attendu ! Une chance pareille ne se représenterait jamais, elle le savait. Peu importait ce que pensaient ses parents. L'air avare de Mens leur avait rétréci l'esprit. Elle appuya son front contre la vitre de sa chambre, rêvant qu'à travers, elle contemplait les rues d'Yspareille, grouillant d'une foule animée. Elle se représentait déjà la devanture de sa future boutique. La Boîte à bijoux. Elle la peindrait en vert pâle ou peut-être en gris. De l'autre côté de la rue, un chat détala en hurlant. Ramenée à la réalité, Éliane recula comme si la boue de l'extérieur avait pu l'atteindre. Mens ne possédait que deux avenues pavées. Les autres baignaient dans une fange entretenue par les écoulements perpétuels des rivières souterraines. Qui aurait désiré passer sa vie ici ?
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