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L’atmosphère changea encore, perdit de sa densité. De grosses gouttes sphériques s’écrasèrent sur le béton brûlant du sentier, faisant éclater la poussière du parking comme des crachats furieux, claquant sur les toits des voitures de police et celui du café. Il en tomba davantage, dures, éparses, et ensuite le ciel se déchaîna pour de bon et ce fut le déluge. Lauren sentit l’orage fouetter ses bras nus, lui percer le crâne. Mais, tandis que tous couraient s’abriter à l’intérieur de l’établissement, elle ne bougeait toujours pas.
Les cheveux trempés, plaqués sur son visage, elle regardait la tempête déformer la surface du Bishop, qui brunissait et enflait.
Afficher en entierLorsque le premier nuage noir glissa au-dessus de la vallée, elle crut qu’une tache obscurcissait le sol. Une sorte de grande flaque noire. Puis un autre cumulus, plus gros, passa devant le soleil, et elle se rendit compte qu’elle n’avait pas assisté aux changements du ciel depuis plusieurs semaines. L’étrange forme sombre recouvrant le terrain de jeu n’était qu’une ombre, et non le signe inquiétant d’un phénomène inexplicable. Les nuages fusionnèrent en une immense voûte grise et oppressante. L’air se chargeait d’électricité. Devant le café, elle avait la chair de poule. Elle patientait, dans un état de tension extrême.
Afficher en entierElle cria, d’une voix pâteuse et gutturale, courut dans une direction, trébucha sur une racine et tomba, sentit les os de ses poignets craquer quand elle atterrit sur les paumes. Quelle importance, elle ne sentait plus son corps, de toute façon, seulement une terrible absence, celle de ses bébés, comme une amputation des membres, une aberration si monumentale qu’elle eut envie de se faire mal, de s’arracher les cheveux, de se griffer. Elle courut dans l’autre sens, vers la clairière, hurla les prénoms de ses enfants. Des oiseaux s’envolèrent à tire-d’aile du grand pin argenté qui se dressait au bord de la rivière, dans une nuée grise et stridente.
Afficher en entierDans la vallée, elle se gara près de l’étang et fixa les deux sièges auto à la structure de la poussette. Elle positionna Morgan en haut, face à elle, et Riley en bas, dans l’autre sens. Elle craignit d’abord que ce dernier ne se sente mis à l’écart mais il dormait, après tout, et elle pourrait les inverser au retour, par souci d’équité. Sac de change, sac à main, téléphone, portefeuille, clés. Elle laça ses grosses chaussures et commença à longer la rivière, immédiatement revigorée. Elle avait tellement arpenté cette rive qu’elle s’y sentait chez elle. C’était devenu sa rivière. Dans son ancienne vie, elle roulait souvent jusqu’au réservoir de New Riverby, à cinq kilomètres. Le matin même de son accouchement, elle avait fait le tour du lac à pied
Afficher en entierQuand leur premier enfant était âgé de quelques semaines, ils le trouvèrent trois nuits de suite allongé en travers et sans couverture dans son berceau, qui était installé à côté du lit de la mère. La quatrième nuit, le père décida de veiller pour observer attentivement le bébé. Il garda les yeux ouverts jusqu’à minuit passé. Rien n’arriva à l’enfant tant qu’il le surveilla de près. Mais, ensuite, ses paupières commencèrent à se fermer.
Jacob et Wilhelm Grimm,
Légendes allemandes
Afficher en entierLorsqu’elle rouvrit les yeux, la lumière avait changé dans la pièce. Plusieurs heures avaient dû s’écouler, et la sieste l’avait laissée groggy. Elle se leva, les jumeaux encore dans ses bras, pensant aller se coucher. Elle fit quelques pas vers la cuisine et sentit des frissons lui parcourir la nuque, comme si l’air s’était rafraîchi. Il y eut un faible crissement, et un tapotement. Elle regarda autour d’elle pour comprendre d’où venait le bruit. Une forme obscurcissait la fenêtre, à l’arrière de la maison. Le visage crasseux de la femme, ses cheveux en bataille, ses yeux luisants. Un grand sourire aux lèvres, plaqué contre la vitre. Elle braquait un doigt vers elle, grattant le verre avec l’ongle.
Afficher en entierUne branche de sorbier attachée au-dessus du berceau protège les filles contre l’enlèvement par les fées, car, selon une vieille superstition, la première femme a été créée à partir du sorbier. Une branche d’aulne protège les garçons, car le premier homme a été créé à partir de l’aulne.
Conte populaire irlandais
Afficher en entierDans sa tête, le bourdonnement perçant devint assourdissant, un larsen tellement aigu que Lauren se plia en deux, se boucha les oreilles, grimaça. Elle réussit à fermer la porte et se laissa tomber sur le canapé à côté de Patrick, qui passa son bras autour d’elle. Respire, se dit-elle. Accroche-toi à la réalité. Tapis beige, canapé bleu. Bas de survêtement noir. Elle se détendit légèrement, se relâcha, et, tandis qu’elle se cramponnait à son mari, les bruits se calmèrent dans sa tête. Leurs deux corps allaient si bien ensemble. Si parfaits l’un contre l’autre. Sa chaleur, sa peau, son odeur.
Afficher en entierLe choc de ses mots, le coup de poing du sous-entendu la plongèrent dans la désolation et la solitude, comme si elle prenait soudainement conscience, et beaucoup trop tard, de la véritable nature de l’homme qu’elle avait épousé. « Ne pas bosser », avait-il dit. S’occuper des enfants n’était donc pas un vrai travail pour lui. Il ne se souciait pas d’elle. Seulement de sa petite personne. Le cœur de Lauren se serra, et les bébés semblèrent le sentir. Peut-être étaient-ils bel et bien en lien direct avec elle, comme elle l’avait lu dans ce livre sur le développement du cerveau des nouveau-nés. Ils fusionnaient avec leur maman, ressentaient ce qu’elle ressentait. Cela devait être vrai, car Morgan ouvrit grande la bouche et lâcha le téton tandis que Riley se cabrait, puis se raidissait. Ils se mirent à pleurer, et Lauren et Patrick bercèrent chacun un jumeau pour le calmer, marchant en rond dans le salon sans jamais se croiser.
Afficher en entierComment protéger votre enfant
1. Placer une clé à côté d’un nouveau-né empêchera qu’il ne soit échangé.
2. La mère ne doit jamais être laissée seule pendant les six premières semaines qui suivent la naissance, car le diable a plus de pouvoir sur elle à ce moment-là.
3. Pendant les six premières semaines après la naissance, la mère doit éviter d’aller se coucher s’il n’y a personne pour surveiller l’enfant. L’échange se fait souvent dans le berceau, quand la mère est submergée par la fatigue.
Jacob Grimm,
Mythologie germanique
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