Extraits

On dérange aussi les politiques, sensibles aux sirènes de l'industrie qui promettent des emplois, quand ce n'est pas des pots-de-vin. Le monde de la recherche qui dépend des subventions et des débouchés attribués par les firmes chimiques. Et ces mêmes entreprises, bien entendu, qu'on épingle dans nos campagnes en brocardant la toxicité de molécules qu'elles ont découvertes au prix d'investissements colossaux.

Le militant savait parfaitement que la plupart des faits et gestes sur Internet sont surveillés quelque part dans le monde, mais il ignorait que beaucoup de machines identifiées par leur adresse IP sont répertoriées sur des listes partagées par des agences de renseignement occidentales; certaines d'entre elles ont formé une alliance qui réunit les États Unis et ses quatre alliés anglophones : le Canada, la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce pacte a un nom : "Five Eyes" (les 5 yeux). Le partenaire le plus actif du groupe est la National Security Agency américaine.

Le cours toucha à sa fin ; il était fatigué.

La secrétaire apparut dans l’encadrement de la porte. Il vit tout de suite que quelque chose n’allait pas.

– Docteur, un jeune homme demande à vous parler. Je l’ai fait patienter à l’accueil.

Benjamin menait la discussion en utilisant le ton habituel. Il ne manifestait jamais la moindre surprise, même lorsque Jo évoquait les aspects les plus saugrenus de son délire. C’était un cas intéressant de fugue psychogène. Chaque année, ils étaient des dizaines à partir sur les routes, irrésistiblement attirés par la Ville lumière. Certains montaient dans des bus ou des trains, d’autres s’en allaient à pied. Une fois, Benjamin s’était occupé d’une femme qui avait quitté sa maison, en pleine nuit, une nuisette pour tout vêtement.

Benjamin Delmas considérait le ciel gris à travers la fenêtre de son bureau.

Son reflet sur la vitre, brouillé par les gouttes d’eau, lui donnait du vague à l’âme.

Encore une triste journée. Essaye de ne pas trop déprimer, pense aux malades.

Il sortit un mouchoir d’une poche de son vieux costume en velours et essuya la buée sur le verre de ses lunettes. Il avait quarante-six ans, mais en paraissait dix de plus. C’était pourtant un bel homme. Une barbe taillée avec soin renforçait son ascendance espagnole.

Voilà quinze ans qu’il travaillait comme médecin à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, une institution parisienne qui jouxtait l’hôpital Sainte-Anne.

Désorienté, il réalisa à peine qu’on le poussait à l’intérieur de la chambre. Une porte qui claque. Douleur. Chaleur. Bruits de pas sur le tapis. Ils sont plusieurs. Chuchotements.

P… utain.

Deux types le prirent sous les bras et le traînèrent vers la salle de bains. Du sang lui brouillait la vue.

Le froid du carrelage, un goût de fer dans sa bouche. Nouveau coup de trique.

Rideau.

L’heure de la fermeture approchait.

Dans la fraîcheur du soir, sur la terrasse du restaurant, des photophores tournicotaient au-dessus des tables. Un répit après une journée de chaleur et de pollution. Le trentenaire, silhouette mince, barbe de quelques jours et chevelure négligée ressemblait à ces routards qui écument la Thaïlande et qu’on trouve dans les hôtels bon marché de Khao-Sand Road.