Qu'est-ce que la vérité ?

La raison et la foi

Qu'est-ce que la vérité ? C'est une question que nous formulons rarement en ces termes, mais que nous posons souvent, lorsque nous nous demandons si nous voyons bien ce que nous voyons. Voyons-nous bien ce que nous voyons ? Pour le vérifier, nous essayons de le toucher. La vérité a besoin d'une pierre de touche. Elle est elle-même la pierre de touche. Nous avons le sentiment d'être dans la vérité quand nous pouvons toucher ce que nous voyons. Nous sommes dans le faux lorsque nous ne pouvons pas toucher ce que nous voyons - ou plutôt, donc, ce que nous croyons voir. L'enfant essaye d'attraper son ombre; l'adulte a appris à distinguer entre ce qu'il croit voir et ce qu'il peut saisir. La raison, pourrait-on dire, c'est ce qui nous permet de relier la vue au toucher. Cela nous est souvent très difficile, à la différence du chat qui, apercevant la souris, n'hésite pas sur ce qu'il a à faire. Un coup d'oeil et croc ! Nos gestes sont beaucoup moins gracieux que ceux du chat, nous sommes une espèce errante et claudicante parce que nous avons peine à relier la vue au toucher. Nous avons peine, cela veut dire, nous avons besoin de la raison, et la raison est un travail. Pourquoi nous trompons-nous, pourquoi sommes-nous capables d'erreur ? Parce que nous avons un oeil beaucoup plus grand que celui du chat, plus grand que celui du lion même, parce que nous' avons un oeil immense, l'oeil de l'esprit. Nous pouvons voir tout ce qui est, et tout ce qui peut être, parce que notre intelligence est ouverte à l'être en tant que tel. Nous pouvons même voir ce qui n'est pas, puisque nous pouvons l'imaginer. Disproportion entre l'illimité de ce que nous concevons, et l'étroitesse de ce que nous pouvons toucher et vérifier. Et la raison infatigablement ne cesse de courir de l'un à l'autre, de l'être conçu à l'être vérifié.

Je n'essaierai pas de définir ce qu'est la foi, n'étant pas théologien et n'ayant donc pas l'autorité pour cela. Je remarquerai seulement que la notion de foi au sens fort qui nous intéresse ce soir est apparue avec le christianisme et qu'elle est restée propre au christianisme. Avec l'Incarnation, la vérité s'est donnée à voir et même à toucher. Le principe même de l'être s'est offert à la constatation de Thomas. Puis il s'est retiré. «Heureux ceux qui croiront sans avoir vu.» Ceux qui auront la foi. La foi atteint son objet sans le voir ni le toucher. Au lieu d'aller et venir sans cesse, au lieu de travailler, elle suspend l'effort humain, et de Dieu attend tout, espère tout, escompte tout.