Extraits

Avec inquiétude et intérêt à la fois, il constata que le cadran de la tour s'était détaché de son support. Délicatement, il le saisit entre trous doigts pour le retirer.

- Aïe ! s'écria-t-il en portant son index à la bouche pour lécher une minuscule goutte de sang.

Il s'était piqué le doigt. Certainement une aspérité mal limée, pensa-t-il. Un éclat de lumière provenant du verso l'éblouit. Il retourna aussitôt l'objet et ce qu'il découvrit le stupéfia.

Un autre cadran. Découpé en seize portions au lieu des douze habituelles. Deux aiguilles se mouvant en une synchronie parfaite avec celles du recto et une troisième qui égrenait les secondes. Elles scintillaient de mille feux. Le fond du cadran était granuleux et doré, comme du sable. Le tic-tac résonnait de plus en plus fort à ses oreilles, et il ne pouvait quitter du regard le mouvement de la trotteuse. Une fatigue immense l'envahit soudain et il s'assit sur la chaise devant l'établi. Serrant le cadran entre ses doigts, il lui sembla que don corps irradiait de lumière. Il n'entendit bientôt plus que le son hypnotique du mécanisme.

Tic tac...sa vue se troublait... tic TAC...sa tête était lourde, si lourde...TIC TAC...ses paupières se fermèrent.

Et il bascula.

Je vous le répète, à un ou deux détails près, tout est vrai !

J'attends d'ailleurs de pieds ferme le premier qui pourra m'apporter des preuves concrètes du contraire.

Fou de rage, il se débattit en hurlant :

- Votre paix, elle empeste la mort !

Mais seul le silence lui répondit.

- Il ne devait plus y avoir de guerre ! Nous pensions tous que la précédente était " la dernière des dernières " !

Axélief soupira. Le poids qu'il portait depuis tant d'années l'écrasait par moments. La solitude aussi.

 Mais il était Axélief Sondran, celui qui n'avait jamais trahi et failli une fois seulement. Il serait fidèle jusqu'au bout. Il accomplirait la mission qui lui avait été assignée. C'était sa pénitence.

- Va donc te décrotter à la cascade avant de te rendre aux thermes : tu es si sale que tu effraierais une baignoire !

Le projectile siffla aux oreilles d'Altrïos et alla se ficher dans le tronc d'arbre voisin. Il l'avait évité de justesse. Sans perdre une minute, il reprit sa course dans la forêt. Bien sûr, il savait dès le départ que cette mission était risquée. Depuis que la guerre avait éclaté entre Nelbri et Roslend, les patrouilles nelbriennes avaient doublé de fréquence le long de la côte. Traverser la mer des Sables ondulants était le moyen le plus direct pour les Roslendiens de s'introduire en Nelbri. Altrïos n'était pas le premier à tenter l'aventure. D'autres espions avant lui étaient passés par là. Mais ils s'étaient fait prendre ou étaient revenus bredouilles. Alors Altrïos avait décidé de se charger lui même de cette mission de la plus haute importance. Il était maître espion, et ses particularités physiques lui permettaient de réussir là où tant d'autres échouaient. Du moins, c'est ce qu'il avait cru jusqu'alors. Une nouvelle flèche fendit l'air. Son ouïe exceptionnelle, une fois encore, lui sauva la mise. Il effectua une série de roulés-boulés fluides et rampa dans un fourré pour reprendre son souffle. Et réfléchir. La mission avait très mal tourné. Les codes qu'il était censé récupérer étaient tombés dans les eaux boueuses du fleuve avec son contact. Ce dernier n'était qu'a une dizaine de mètres de lui lorsqu'il avait vu ses yeux s'écarquiller tout grand. Un javelot venait de lui transpercer le thorax et il avait titubé en silence avant de basculer par-dessus le rambarde du pont. Inutile de chercher à lui porter secours ou à récupérer les précieux codes: des cris et des coups de sifflet avaient retentit dans la nuit, tout proches. Alors il avait tourné les talons et couru à toute vitesse en direction de la forêt, sous une pluie de carreaux d'arbalète. Etait-ce la faute à une trahison ou à un manque de chance? Peut-être ne le saurait-il jamais. Ce qui était incroyable cependant, c'était que les archers nelbriens puissent encore le repérer dans l'obscurité de cette nuit sans lune. Altrïos n'avait rien laissé au hasard lors de sa préparation: vêtements sombres, visage et cheveux teint en noir, il n'aurait dû être qu'une ombre parmi les ombres. Seule note de couleur: ses iris rouges qui se détachaient comme deux pierres précieuses sur le blanc de ses yeux. Des yeux qui lui permettait de voir de nuit comme en plein jour. Des yeux d'Albin.