Extraits

POURQUOI AS-TU UNE FAÇON SI PARTICULIÈRE DE PARLER ?

Parfois, les autistes ont de drôles d’intonations, ou bien ils utilisent le langage d’une manière inhabituelle. Les non-autistes peuvent sélectionner ce qu’ils veulent dire, en temps réel, pendant qu’ils discutent. Mais nous, les mots que nous voulons dire et ceux que nous pouvons dire ne concordent pas toujours. C’est pour ça que notre façon de parler peut paraître un peu bizarre, je suppose. Quand il y a un écart entre ce que je pense et ce que je dis, c’est parce que les mots qui sortent de ma bouche sont les seuls que je trouve à ce moment-là. Ces mots me viennent parce que ce sont eux que j’utilise toujours, ou parce qu’ils m’ont marqué à tel ou tel moment de mon passé.

EST-CE QUE TU NOUS COMPRENDS MIEUX QUAND ON TE PARLE COMME À UN BÉBÉ ?

Les enfants avec autisme grandissent et se développent chaque jour, pourtant on nous traite éternellement comme des bébés. Je suppose que c’est dû à l’impression qu’on donne : l’autiste se comporte comme s’il était plus jeune que son âge. Mais je peux vous dire que quand quelqu’un me traite comme un tout-petit, ça me tombe sur les nerfs. Les gens croient peut-être que je comprends mieux le langage bébé, ou alors ils pensent que je préfère qu’on me parle comme ça. Je ne sais pas.

POURQUOI FAIS-TU DES CHOSES QU’ON T’A RÉPÉTÉ MILLE FOIS DE NE PAS FAIRE ?

« Combien de fois faudra-t-il que je te le dise ?! »

Nous, les personnes avec autisme, on entend ça tout le temps. Moi je me fais gronder tout le temps parce que je refais sans arrêt les mêmes vieilles bêtises.

Ce n’est pas par méchanceté que nous agissons ainsi. Les gens pourraient le croire, mais sincèrement ce n’est pas vrai. Quand on m’attrape, je m’en veux beaucoup d’avoir fait, encore une fois, ce qu’on m’avait défendu. Mais quand une nouvelle occasion se présente, j’ai oublié la dernière scène et ça me reprend, une fois de plus. Comme si j’étais poussé à agir par quelque chose qui n’est pas moi.

C’est un processus assez compliqué. D’abord, j’analyse ma mémoire pour trouver une expérience aussi proche que possible de ce que je suis en train de vivre. Quand j’ai trouvé celle qui correspond le mieux, j’essaie de me rappeler ce que j’ai dit à l’époque. Avec un peu de chance, je tombe sur une expérience utilisable et tout va bien. Si je n’ai pas de chance, je me sens paralysé par la même sensation de naufrage que j’ai éprouvée autrefois et je suis incapable de répondre à la question. Et voilà la voix bizarre qui recommence à sortir de moi, malgré tous mes efforts pour l’en empêcher. Je suis de plus en plus perturbé et découragé et ça devient encore plus difficile de dire quoi que ce soit.

POURQUOI RÉPÈTES-TU LES QUESTIONS QU’ON TE POSE AU LIEU DE RÉPONDRE ?

J’ai remarqué depuis longtemps que les personnes avec autisme répètent souvent les questions qu’on leur pose, comme des perroquets. Au lieu de répondre, nous renvoyons sa question exacte à la personne qui l’a posée. Avant, je croyais que nous le faisions parce que nous ne savions pas comment répondre, mais maintenant j’ai une autre opinion sur ce mystère.

Si j’étais tout seul, ma voix bizarre ne me dérangerait pas, mais je sais qu’elle gêne les autres. Les sons étranges qui sortent de ma bouche m’ont souvent fait mourir de honte. Franchement, je voudrais bien être gentil, calme, et silencieux aussi. Mais quand on nous ordonne de ne rien dire, de rester silencieux, nous ne savons pas comment faire ! La voix d’un autiste, c’est comme la respiration, je crois : elle sort de sa bouche qu’il le veuille ou non.

POURQUOI RÉPÈTES-TU LA MÊME QUESTION SANS ARRÊT ?

C’est vrai, je pose toujours les mêmes questions. « On est quel jour aujourd’hui ? » « C’est un jour d’école demain ? » Sur des sujets bêtes, je redemande sans arrêt la même chose. Je ne répète pas la question parce que je n’ai pas compris – en fait au moment où je la pose, je sais que je comprends très bien.

POURQUOI LES AUTISTES PARLENT-ILS SI FORT ET SI BIZARREMENT ?

Quand je parle tout seul, les gens me disent souvent que ma voix est trop forte, alors que je n’arrive même pas à dire ce que je voudrais. À d’autres moments, ma voix est beaucoup trop douce. Elle fait partie des choses que je ne contrôle pas. Ça me déprime tellement… Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à régler ce problème ?

Ensuite, pour me rendre plus indépendant, maman a inventé ce clavier alphabétique. Avec lui, je peux former les mots en pointant simplement les lettres, au lieu de devoir les écrire une à une. Ça me permet aussi de fixer mes mots, et d’empêcher qu’ils s’enfuient dès que j’essaie de les prononcer. Quand j’apprenais cette méthode, je me suis souvent senti très découragé. Et puis j’ai fini par arriver à trouver les lettres tout seul. Ce qui m’a poussé à continuer, c’est de me répéter que pour vivre une vraie vie, rien n’était plus important que de se faire comprendre. Donc, pour moi, le clavier alphabétique ne sert pas seulement à former des phrases, mais surtout à transmettre aux autres ce que je veux, ce que j’ai besoin qu’ils comprennent.

Le clavier alphabétique est une méthode de communication non verbale. Vous croyez peut-être que la parole est la seule façon de faire passer vos intentions et vos idées, mais il y a une autre manière de dire ce que vous voulez sans utiliser le système nerveux vocal. Au début, j’étais sûr que je n’y arriverais jamais, mais maintenant, je suis capable de dire ce que je ressens tout au fond de moi en utilisant juste un ordinateur et un clavier alphabétique.