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Émilie a insisté pour que nous allions à la fête des voisins. Elle a de ces idées, parfois ! Je consens à y faire acte de présence uniquement pour lui faire plaisir. Il faut savoir faire des sacrifices et je suis pour la paix des ménages, surtout le mien ! Je ne sais pas pourquoi elle y tient tant. Elle pense peut-être devoir se présenter au groupe pour pouvoir intégrer la joyeuse bande des propriétaires névrosés. On voit vraiment qu’elle ne les connaît pas ; ils sont tous plus sinistres les uns que les autres. Franchement, je ne comprends pas pourquoi on a inventé une fête pareille. Pour recréer du lien social, pour retrouver un esprit de village dans nos grandes villes déshumanisées, me dit Émilie. Depuis Le – très fascisant – Corbusier et sa maison du fada à Marseille, plus personne ne peut croire en de telles balivernes. S’ils avaient eu un tant soit peu d’honneur, les architectes qui les ont commises se seraient pendus avec leurs belles utopies, en voyant ce que leurs grandes cités idéales sont devenues. Fallait-il qu’ils soient cyniques ou fous – ou bien les deux – pour imaginer des gens vivre heureux dans des habitations construites dans un matériau dont on avait fait, quelques années auparavant, le mur de l’Atlantique et la dernière résidence secondaire du petit moustachu allemand. Sincèrement, si le lien social s’est délité, si on ne se fréquente plus entre voisins – dans nos villes de grande solitude, comme le dit le chanteur – il doit bien y avoir une raison, non ? Une raison simple, explicite, compréhensible par le premier des enfants. Une raison qui tiendrait en quelques mots : le voisin est un gros con ! Seule Émilie fait étonnamment exception à cette règle immuable et c’est pour cela que nous vivons ensemble. Et puis l’esprit de village, je le connais. J’ai grandi à la campagne où chacun médit, où tout le monde se mêle des affaires de tout le monde, où les histoires de coucherie de la mère Michel avec le père Lustucru, qui a lutiné son chat, se répandent comme des effluves de lisier en rumeurs nauséabondes, plus sûrement que l’indigence intellectuelle sur les programmes télévisuels, plus rapidement que la photo d’une quelconque Miss France nue sur les réseaux sociaux.
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