Extraits

Cardinal passa devant chez son père en se rendant à la limite nord d'Algonquin Bay où il effectua un virage à gauche dans Ojibwa Road. Il n'y avait que trois maisons dans cette rue : deux bungalows décrépis et l'habitation en brique, bâtie sur deux niveaux, qui appartenait à Bressard. Même dans le brouillard, elle ressemblait à n'importe quelle résidence de banlieue de la petite bourgeoisie ; il n'y avait rien pour indiquer au passant que son propriétaire gagnait sa vie exactement comme ses ancêtres durant plusieurs générations, en prenant des animaux au piège pour faire commerce de leur fourrure.

Ça alors ! Comment que vous l'avez su ? Vous êtes stupéfiants, vous autres. Enfin bon, je vois Thierry qu'est assis tout seul dans un coin, même que je vais le voir et qu'on commence à discuter le bout de gras. Et lui, il est vraiment bourré, hein? Et quand je dis vraiment, c'est vraiment. Et il commence à me raconter des trucs.

Il lâcha le sac à dos et la nourriture pour prendre ses jambes à son cou, mais Cardinal le retint par sa veste et tous deux tombèrent au sol en une mêlée confuse de bras et de jambes. Puis le policier l'empoigna pour le relever et le roi des voleurs d'Algonquin Bay se retrouva le nez contre le coffre de sa voiture, les pieds largement écartés sur le sol.

Lise Delorme, non contente d'être une enquêtrice de premier plan, avait un comportement calme et réfléchi qui constituait un authentique atout dans les relations avec le public. Elle possédait également des qualités physiques indéniables mais, pour l'heure, c'était cette attitude raisonnable qui importait. Cardinal avait été chargé de plusieurs vols perpétrés dans des banques et, en règle générale, ça donnait une scène de crime où l'excitation frôlait l'hystérie. Mais sa collègue avait réussi à faire asseoir tous les employés tranquillement à leur poste où ils attendaient qu'on les interroge. Il la trouva occupée à s'entretenir avec le directeur dans son bureau protégé par une paroi vitrée.

La Fédéral Trust se trouvait en plein centre-ville, sur Main Street. C'était une construction basse en brique rouge qui ne faisait rien pour se fondre dans les édifices centenaires alentour. Cardinal n'y était pas client mais conservait le souvenir d'y être entré avec son père quand il était gamin. Le temps qu'il se gare devant, trois voitures pie étaient déjà arrêtées n'importe comment dans la rue et sur le trottoir. Ken Szelagy, qui au physique ressemblait à un grizzly et était, selon ses propres termes, un Hongrois fou, se tenait sur le seuil où il déblatérait dans son portable. Il leva la main quand Cardinal s'approcha.

Regarde, tu peux juste distinguer l'écureuil, là. Stan Cardinal avait cet immense rongeur en cuivre devant chez lui, une ancienne girouette qu'il avait récupérée des années auparavant. Le brouillard lui conférait un caractère cauchemardesque. Cardinal effectua un demi-tour prudent et se rangea sur l'allée. — Passe-moi un coup de fil demain, qu'on te conduise chez le cardiologue. Si je ne peux pas, Catherine sera heureuse de... Attends une seconde.

Bien sûr, le réchauffement de l'atmosphère, ça n'existe pas, dit-il pour tenter d'arracher son père à son humeur présente. — Elle m'a parlé comme à un gosse de six ans. — Elle t'a dit la vérité. Dire la vérité à quelqu'un, c'est une marque de respect. — Comme si tu n'avais rien de mieux à faire que de me véhiculer d'un bout à l'autre de ce trou du cul du monde. — Oh, tu sais, tu n'arrêtes pas de me dire que je fais un boulot pourri.

John attendit que la réceptionniste fournisse à son père des explications concernant la feuille destinée au cardiologue. Des éclats de voix leur parvenaient du cabinet. — Le Dr Cates reçoit beaucoup de patients comme lui ? demanda-t-il à la jeune femme. — Ce n'est pas un patient. C'est un... euh, je ne sais pas comment je pourrais dire ça. — On ne pourrait pas ficher le camp d'ici ? les interrompit Stan. Que tu le croies ou non, je ne tiens pas à passer le restant de mon existence dans un cabinet médical.

Deuxièmement, chacun de nous est dépendant des autres. Nous sommes tous obligés d'apprendre à demander ce dont nous avons besoin. — C'est comme si j'étais invalide, bon Dieu. — Ce n'est pas la fin du monde. Franchement, je suis infiniment plus inquiète pour votre cœur. J'entends beaucoup de sécrétions dans votre poitrine. Occupons-nous d'abord de ça et après on se préoccupera de savoir si vous pouvez prendre le volant, d'accord ?

Vous avez trente ans, alors qu'est-ce que vous pouvez bien savoir ? Qu'est-ce que vous pouvez savoir de ce que je ressens ou de ce que je ne ressens pas... dans mes pieds comme partout ailleurs, bon Dieu ? Je conduisais déjà vingt ans avant votre naissance. Jamais a eu d'accident. Jamais eu ne serait-ce qu'une contravention pour excès de vitesse. Et vous venez me dire que je n'ai pas le droit de conduire? Qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Que je l'appelle, lui, toutes les cinq minutes ? — Je sais que c'est contrariant. Et vous avez raison, ça ne me plairait pas du tout. Mais il y a une ou deux choses que vous devriez garder présentes à l'esprit.