Extraits

I cry when angels deserve to die (System of a Down, « Chop Suey »)

Damon consulta encore une fois sa montre. Cela faisait bien dix fois qu’il vérifiait l’heure depuis ce matin, et toujours aucun appel.

Il lui avait fallu quinze jours – quinze longs jours de réflexion – avant de savoir ce qu’il devait faire. Il s’était enfui brusquement du siège de la SSA, laissant son ami inconscient, et abandonnant une petite amie qui l’attendait. Mais sur le moment, ça lui avait paru la seule réaction sensée. Il n’avait pas eu le courage d’annoncer à Taddeuz ce qu’il venait de découvrir, de détruire l’esquisse de famille qu’il s’était créée. Il ne pouvait pas laisser son ami voir ce désastre, perdre les pédales comme lui devant les cinq clones aux visages identiques. Lui enlever le tout petit espoir que Julien puisse réellement être son père, lui ôter l’illusion que son existence ne se résumait pas à une manipulation génétique de la SSA. Non. Il ne voulait pas être celui qui balayait ses rêves d’un revers de la main. Alors il avait fait ce qu’il savait le mieux faire : neutraliser la menace, avant de s’éloigner. L’histoire avec Tellia lui avait appris à se tenir loin des personnes à qui l’on pouvait s’accrocher, à mettre de côté ce qu’on ne voulait pas affronter, qui pouvait blesser au plus profond de notre être. Et, sur le coup, ça lui avait semblé être une bonne idée. Mais à présent, et depuis qu’il avait quitté le bâtiment en flammes, les images horribles revenaient le hanter en boucle : Taddeuz affalé par terre, le crâne explosé par une balle plantée en plein front, son visage défiguré par les coups reçus… Même si sa conscience lui répétait que ce n’était pas Taddeuz à qui il avait eu affaire, rien n’y faisait. Il nageait en eaux troubles. Et le pire, c’est qu’il les avait tous abattus. Chaque fois qu’il se remémorait les combats menés contre ces soldats particuliers, la culpabilité le tenaillait, lui tordant les boyaux de plus en plus durement. À peine débarrassé de ses vêtements, dans cette chambre d’hôtel miteuse, il avait dû se laver à plusieurs reprises tellement il se sentait souillé par le sang de ses ennemis. Le fluide semblait lui transpercer la peau, lui brûler l’épiderme tel un filet d’acide pur. Il en avait eu jusque dans la bouche, et il avait envie de vomir rien qu’à y repenser.