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Lisa n’était nullement insatisfaite de la situation présente. Après la terreur qu’avait suscitée en elle l’incarcération de Sebastian, les nuits d’insomnie et les longues heures passées à pleurer, elle était heureuse de l’avoir retrouvé. Elle l’avait soigné avec amour et compétence, en mère et en infirmière, lui avait reproché de ne pas l’avoir écoutée lorsqu’elle le pressait de quitter le parti communiste. Sa docilité enfantine l’avait émue. Mais, depuis son retour, ils ne parvenaient plus à avoir de relations intimes. La terrible expérience de la prison avait affecté la virilité de Sebastian. Physiquement, il n’avait subi aucune atteinte, mais quelque chose s’était brisé en lui.
Afficher en entierAugsbourg, mai 1935
Il était presque 10 heures du matin. On avait fait le ménage dans les chambres des maîtres, nettoyé les salles de bains, terminé les préparatifs du déjeuner. À présent, les domestiques de la villa s’accordaient une pause à la cuisine, avec café au lait et légère collation. On était sur le pont depuis 5 heures et demie du matin…
— V’là enfin le postalier qu’arrive sur son vélo, annonça Augusta, qui observait l’allée, debout à la fenêtre de la cuisine.
— Il passe toujours en dernier à la villa, pour pas que les maîtres aient leur courrier avant midi, grogna Fanny Brunnenmayer, la cuisinière.
— J’ai bien envie de lui demander s’il travaille pour la poste du Reich ou pour celle des escargots, renchérit Humbert.
Hanna, qui allait poser sur la table la corbeille contenant les petits pains laissés par les maîtres, suspendit son geste.
— Fais attention, Humbert, dit-elle avec crainte. Avec lui faut pas plaisanter, il paraît qu’il a déjà dénoncé des gens.
L’aimable vieux facteur était parti à la retraite six mois plus tôt, au grand regret des habitants de la villa aux étoffes. Son successeur n’était pas fait du même bois : un jeune, pas encore 30 ans, d’une minceur de lévrier, au teint pâle et à l’humeur hargneuse. Et avec ça il était un fidèle camarade du parti, un national-socialiste de la première heure, ainsi qu’il aimait à s’en vanter. C’était sans doute ce qui lui avait permis d’obtenir cet emploi à la poste du Reich.
« Dans le temps, ils auraient jamais pris une andouille pareille ! avait déclaré la Brunnenmayer. Trois fois la semaine, il nous apporte des lettres qui sont adressées à d’autres. Quant à savoir à qui il remet les nôtres, y a que Dieu qui puisse le dire ! »
Le plus irritant, chez le « postalier », ainsi qu’ils l’avaient surnommé, c’était sa façon ostentatoire de faire le salut hitlérien. Chaque fois qu’il pénétrait dans la cour de la villa, il levait le bras droit et beuglait crânement un « Heil Hitler ! » qui s’entendait jusque dans la rue Haag. Lorsqu’on ne répondait pas comme il convenait à ce salut imposé par l’État, il pouvait devenir désagréable. L’avant-veille, alors que Hanna lui avait lancé en retour un aimable « Bien le bonjour », il avait rétorqué sur un ton menaçant qu’on mettrait bientôt au pas les récalcitrants. Ce propos était évidemment ridicule, mais il avait produit son effet sur la craintive Hanna.
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