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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:19:52+01:00

§. — Nous frôlions Coulibaly, nous frôlions Abdeslam, nous frôlions Lahouaiej Bouhlel dans nos rues, nous les avons peut-être klaxonnés, nous nous sommes peut-être trouvés, au cinéma, dans la même rangée qu’eux. Ils ont été nos contemporains, infiniment semblables à nous, dans une infinie proximité.

§. — Toute la journée du 14 juillet 2016, les victimes de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le terroriste au dix-neuf tonnes, avaient vécu dans l’ignorance ; il leur eût simplement suffi de ne pas aller assister au feu d’artifice ce soir-là. Certains y étaient allés parce qu’ils l’avaient prévu de longue date, d’autres parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire ce soir-là, d’autres encore par simple curiosité, d’autres enfin avaient décidé d’y aller à la dernière minute : ce sont toutes ces décisions, ces mélanges de décisions diffuses, confuses, qui déjà tenaient, tout entières, dans la main de Lahouaiej Bouhlel. Le camion s’est précipité sur les estivants ; dans une logique aberrante, malade, ce sont eux qui, toute la journée, se sont, sinon précipités, du moins dirigés vers ce camion. Toutes les hésitations, les tergiversations, les modifications ont convergé vers ce rendez-vous désormais si net, si gratuitement nécessaire.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:19:28+01:00

§. — Il existe deux manières de considérer l’attentat : par le passé ; par le futur. Par le passé : il est irréversible ; par le futur : il est imprévisible. L’attentat laisse une seule temporalité de côté : le présent, qui reste bouche bée. Passé, l’attentat est irréversible mais on peut tenter de le penser, de le disséquer, de l’étudier, de l’analyser. Future, l’action terroriste est imprévisible mais on peut tenter de l’appréhender, de la prévenir, de l’envisager, de l’empêcher. Au présent, tandis qu’elle exprime sa réalité totale, elle apparaît plus irréelle que lorsqu’elle n’est plus ou n’est pas encore. L’attentat atteint son pic de réalité lorsqu’il est derrière nous ou devant nous. L’hyperréalité de l’attentat abîme, gâte sa réalité : l’étonnement, poussé à son comble, agit comme un voile. Une réalité trop étonnante déréalise le réel, le nimbe de ce qu’il n’est habituellement pas et semble ne jamais pouvoir être. Nous prenons nos quartiers dans la réalité avec une confiance abusive : lorsque cette réalité cesse soudain de se ressembler, nous n’admettons pas que ce qui s’y déroule soit toujours de l’ordre de la réalité. C’est qu’inconsciemment nous nommons « réalité » ce qui ne déroge pas à l’habitude, alors que la réalité est précisément ce qui, de toutes ses forces, entend détruire ce qui nous est familier. Le quotidien que nous avons fini par faire nôtre n’est qu’un travail sur la réalité. Une illusion. Tout réel est indifférent : nous attendons de lui qu’il nous dépayse le moins possible, alors que tout est dépaysement dans ce qu’incessamment il propose. Nous rétrécissons constamment la réalité pour qu’elle nous agrée. L’attentat vient rappeler que le réel ne se morcelle pas, que la réalité est la même pour tous. L’attentat détraque le quotidien.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:19:23+01:00

§. — Les heures, les jours qui suivent l’attentat, chacun marche à côté de soi-même — chacun s’est vu spolier la part de réel où il s’était jusque-là inséré, par lequel il s’était jusque-là modelé. La réalité n’a pas seulement changé : elle s’est retirée comme se retire la mer. Nous restons médusés en face d’une impossibilité. L’impossible exprime la négation d’un événement à venir. Le terrorisme invente l’impossible avéré, l’impossible au présent, l’impossible ici et maintenant — l’impossible réalisé.

§. — Malgré sa véracité, sa réalité, son effectivité, l’acte terroriste reste impossible. L’impossibilité de cet impossible reste intacte : elle s’est réalisée, mais on ne le réalise pas. Le terrorisme a inversé les pôles : l’impossible est d’abord et avant tout ce qui advient. Non seulement l’impossible n’est pas ce qui ne peut pas arriver, non seulement l’impossible n’est pas ce qui n’arrivera jamais : l’impossible est ce qui arrive, d’une part ; et, d’autre part, il est ce qui ne peut plus ne plus jamais arriver. L’impossible n’est pas la plate négation du possible : il incarne le possible, le summum du possible, la forme la plus achevée du possible. L’impossible est le chef-d’œuvre du possible. Il est le possible poussé jusqu’à sa plus folle extrémité, porté à son ultime degré d’incandescence. Il n’est pas un contraire du possible : il en est son aberration. Il en est son absolue manifestation.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:19:15+01:00

§. — Le terroriste contamine la réalité. Les fleurs, la lumière, sont modifiées par l’attentat qu’il vient de commettre. Le terroriste s’attaque à ce que nous aimions ; ses actes se diffusent dans le réel, s’insinuent dans les choses, pénètrent toute la matière disponible — la pluie sur le trottoir, les oiseaux dans les arbres, ne se ressemblent plus. Quelque chose a changé. Quoi ? Tout. L’attentat s’infiltre sous les tapis, dans les oreilles, s’immisce jusqu’à notre chambre, imprègne notre sexualité. Le monde ambiant transporte une laideur nocive, qui lèche creux et recreux, caresse les visages, laissant sur eux la salive d’un crachat. C’est la transmutation d’une action en trace indélébile d’elle-même. Comme si la tuerie continuait de tuer sous la forme d’une sensation indiciblement partagée, collectivement éprouvée. L’attentat est si réel, si infiniment réel, qu’il semble ne jamais avoir eu lieu. Il y a, dans l’évidence de certains faits, une manière de science-fiction qui s’installe, dont seule l’imagination peut fidèlement rendre compte : ceux qui ont vu le corps de Cabu criblé de balles, la cervelle de Charb, les corps disséminés sur la Promenade des Anglais, les cadavres juchant le sol des terrasses parisiennes, du Petit Cambodge ou du Bataclan, sont condamnés à devoir imaginer la scène qu’ils ont regardée mais qu’ils ne pourront jamais voir.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:19:07+01:00

§. — Sid Ahmed Ghlam assassine Aurélie Châtelain. Aurélie Châtelain ne fait pas partie de la police, ni de l’équipe de Charlie Hebdo, ni de la communauté juive. Aurélie Châtelain ne fait partie que d’elle-même. C’est une victime aussi gratuite que les autres, aussi arbitraire, mais plus seule encore dans cette gratuité, plus abandonnée que les autres à cet arbitraire, une victime non pas davantage victime que les autres victimes, mais plus isolément victime ; non pas une victime plus compréhensible, plus acceptable, plus ad hoc : mais une victime aussi anonyme que précise, aussi ciblée qu’aléatoire, aussi choisie qu’inchoisie. Une victime qui n’avait aucune probabilité ni aucune possibilité de le devenir — une victime non seulement du hasard, mais d’un hasard au carré, au cube ; la victime d’un hasard souverain.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:19:01+01:00

§. — Nouvelle définition de l’existence : laps de temps qui nous sépare de deux attentats. (Un attentat qui ne nous a pas atteint nous redonne des points de vie jusqu’au prochain, et ainsi de suite.)

§. — Un attentat est un crime que d’autres ont vécu à notre place. C’est toujours soi dans un attentat qui, via autrui, est visé.

§. — On nous dit qu’il faudra désormais « vivre avec le terrorisme », c’est-à-dire vivre avec la proximité de la mort. C’est ce que nous faisions déjà, c’est ce que la vie a toujours fait : vivre au travers de la mort, l’évitant, l’empêchant, la fuyant, y échappant. Mais « vivre avec le terrorisme », ce n’est pas simplement vivre dans l’imminente proximité de la mort, c’est borner la vie à la mort, c’est limiter l’horizon de la vie à la mort, c’est faire de la mort le décor naturel de la vie, c’est faire de la mort la principale expérience de la vie — c’est ramener l’immédiateté de vivre à la permanente proposition de mourir.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:18:53+01:00

§. — Dans un monde où des individus normalement constitués, ou supposés tels, sont capables, au risque parfois de leur vie, de passer des heures entières à capturer des Pikachu dans la nature, confirmant dès lors que la frontière jusque-là naturelle de la virtualité et de la réalité, du faux et du vrai, est maintenant abolie, on aura du mal à s’étonner que des tireurs, des égorgeurs, des piétineurs, des dynamiteurs, des snipers, des crémateurs et des décapiteurs ne sachent exactement où se situe la barrière entre la vie et sa négation.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:18:45+01:00

§. — Nous avons toujours, quant au terrorisme, une imagination de retard. Lorsqu’un attentat a lieu dans le Thalys, nous voilà obsédés par les trains ; puis nous abandonnons les trains au profit des aéroports à cause d’un attentat à Bruxelles, puis des aéroports nous passons avec davantage de concentration aux camions de gros tonnage. Nous sommes des aruspices inversés, capables de ne prévoir que l’irrémédiable et le révolu. Nous sommes dans la position, ridicule, de ne pouvoir empêcher que ce qui a déjà eu lieu — comme si l’avenir des attentats n’était que la répétition photocopiée des attentats advenus. C’est oublier la nature de l’attentat, qui est de surprendre la réalité, puis de la violer. Un attentat prévisible n’est plus un attentat. Les terroristes sont les frénétiques candidats d’une sorte de concours Lépine de l’attentat, dont les lauréats, redoublant de créativité et d’inventivité, doivent combiner la virtuosité et l’efficacité, mêler le qualitatif au quantitatif.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:18:38+01:00

§. — Daech a inventé la revendication constante et a priori. L’action ne précède plus la revendication ; c’est la revendication qui précède toujours déjà l’action. C’est une manière de réalité toute neuve qui se déploie : la revendication cesse d’être la qualification d’un acte passé ; elle est désormais appropriation de n’importe quel acte à venir. La revendication n’est plus un contenu, mais un contenant. Daech signe des chèques en blanc à longueur de journée ; l’expression « mort à crédit », chère à Céline, revêt ici toute son ampleur. L’attentat vient se poser sur le segment de futur que Daech lui avait réservé à l’avance, les yeux fermés. Tandis qu’après chaque tuerie nous commémorons le passé, tournés vers nos morts, les terroristes, eux, commémorent l’avenir. Nettoyés de toute mémoire à mesure qu’il avance, Daech, plutôt que de s’encombrer d’hommages à la mémoire de ses « héros », célèbre non pas ceux des siens qui sont déjà morts, mais ceux qui s’apprêtent à mourir. Cette guerre est aussi une guerre des temporalités. Ici le temps des victimes, qui s’écoule à rebours, tourné vers hier ; là le temps des assassins, renouvelé, régénéré, tourné vers demain. Ici un temps qui freine ; là un temps qui accélère.

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Extrait ajouté par ilovelire 2017-01-28T13:17:25+01:00

§. — On note, dans les journaux, une débauche d’analyses sur les attentats terroristes. C’est légitime : chacun veut livrer, non pas sa version, mais son point de vue sur les causes, les effets, les raisons, les conséquences de ce qui se passe en France. Personne n’a raison ; personne n’a tort. Il s’agit, avant tout, de donner forme à « quelque chose » qui n’en a pas vraiment. Ce pays de culture, cette nation d’intellectuels (c’est touchant, c’est honorable, c’est ce qui fait la beauté de la France) tente, désespérément, à chaque fois qu’un attentat a lieu sur son territoire, de venir greffer sa part de clairvoyance, de connaissance, d’intelligence sur le chaos. On ne sait plus qui croire, qui lire, tant l’offre abonde : sociologues, historiens, théologiens, philosophes, écrivains se succèdent, s’empilent parfois, pour tenter de défricher l’indéfrichable et essayer de déchiffrer l’indéchiffrable. Ce qui frappe quand on lit la presse, c’est l’écart vertigineux entre la qualité des auteurs et la médiocrité des acteurs ; entre l’intelligence des articles et la bêtise crasse des actes ; entre la profondeur des éditorialistes et l’indigence des terroristes. Le lecteur a souvent le sentiment qu’on injecte désespérément, et exagérément, du sens dans ce qui n’en a finalement aucun. Que la convocation de tant de finesse trahit notre impuissance à circonscrire une réalité qui, par quelque bout qu’on la prenne, nous échappe. Toutes les subtilités du monde, issues des meilleures plumes et des cerveaux les plus aigus, semblent vaines, interdites, presque ridicules face à ce qui a eu lieu. Comme si les idées ricochaient, perpétuellement, contre ce bloc de granit qu’est l’événement. Un événement chimiquement pur, fait de sa seule irruption, de son inaccessible originalité, de son irrémédiable évidence.

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