Extraits

Le ton extrêmement courtois de Théo semble faire revenir mon père à lui.

- Ecoutez, jeune homme... Ma fille était encore étudiante il y a moins de deux ans. Elle est jeune, impressionnable. Je n'ai pas sa naïveté et vous comprendrez que je puisse me méfier d'un homme que je n'ai jamais rencontré et qui prétend l'épouser dans quelques semaines ! déclare-t-il d'une voix de stentor.

- Je ne suis pas naïve ! crié-je à mon tour.

- Clara ... commence Théo, visiblement décidé à ne pas perdre son calme.

- Papa, je t'assure que ... commence Mark.

- Je ne suis pas naïve et Théo est quelqu'un de bien ! Et je ne te laisserai pas lui parler sur ce ton !

Cette fois je suis hors de moi.

- Théo, on s'en va. Nous reviendrons quand tu seras calmé ! asséné-je à mon père, pétrifié par ma réaction.

Tétanisée, je m'empresse de vider mon verre de vin. Tant pis pour la grâce et la modération. Je ne sais pas encore si je dois remercier ou maudire Mark de m'obliger à me lancer dans le vide ainsi. Mais maintenant que je n'ai plus le choix, je dois y aller !

- Qu'est-ce qui se passe ? fait ma mère d'un ton inquiet, en posant ses couverts.

Mon père, quant à lui, les sourcils froncés, me fixe sans rien dire. J'avale ma salive avec difficulté et jette un regard désespéré à Mark, qui m'encourage d'un signe de tête.

- Je vais me marier, lâché-je d'un seul coup. Avec Théo. Théodore Henderson. Voilà.

Alors que je sors de mon bureau, un éclair de lucidité me traverse. Il me faut une preuve à montrer à la police. Le cœur battant, je retourne dans le cagibi et, encore une fois, je défais l’emballage puis saisis le bordereau de la vente où figure la signature de Théo. Fébrile, je le plie et le glisse dans mon soutien-gorge, avant de tout remettre en place.

Je sors dans le couloir, heureusement désert. Mes doigts, crispés sur mon téléphone, tremblent et je suis tellement choquée que j’en ai presque la nausée.

Tant qu’à avoir l’air défait, autant en profiter.

Recouvrant peu à peu mes esprits, je décide d’aller d’abord prévenir l’assistante de John Baxter Jr., Jammie, que je quitte mon poste avant l’heure de fermeture de la galerie. Quand elle voit ma tête, elle me croit immédiatement malade.

– Pas de problème. De toute façon, avec cette histoire de vol, je ne crois pas qu’on travaille beaucoup aujourd’hui. Rentre chez toi, je te couvrirai auprès du boss, murmure-t-elle, en vérifiant prudemment que ce dernier n’est pas derrière elle.

– Merci, Jammie. Je serai là demain, sans faute.

Sans demander mon reste, je sors de la galerie, dans l’espoir d’y trouver encore les policiers chargés de l’enquête. Mais ces derniers sont déjà partis. Désemparée, je m’arrête un instant sous le soleil new-yorkais. J’ignore si c’est le fait d’être sortie de la galerie, mais il me semble que j’arrive mieux à réfléchir. Contre ma peau, je sens le papier du bordereau, signé de la main de Théo…

Il faut que je lui parle.

Je ne peux pas balayer d’un seul geste ce qu’on a partagé sans même avoir une discussion avec lui, les yeux dans les yeux.

S’il m’a menti, je veux qu’il me le dise.

Serrant les dents, j’envoie un SMS à Théo.

[J’ai pris ma journée. J’arrive.]

Un éclair de mauvaise conscience me transperce : cette fois, c’est moi qui ai le sentiment de lui mentir… Une poignée de secondes plus tard, sa réponse me parvient.

[Hâte de te serrer contre moi… et de t’ôter ce chemisier !]

Je retiens un sanglot en lisant son message. Mais ce n’est plus le moment d’être sentimentale, il faut que je sois forte et que je ne perde pas mon objectif de vue  : obtenir la vérité. Je respire un grand coup et hèle le premier taxi qui passe.