Extraits

Qui embrasses-tu , Ronney ? L'adulte ou l'enfant de 13 ans ?

- J'embrasse chacune de tes cicatrices, chacune de tes peines, chacune de tes souffrances pour t'en prendre un peu

Quand elle me sourit, je sais que j’ai fait quelque chose de bien dans ma journée. Quand elle rit, je sais que je suis à ce moment quelqu’un de bien.

Personne ne se lève le matin en réfléchissant à comment foirer sa vie. Je fais des erreurs comme tout le monde et j’apprends d’elles, mais jusqu’ici, personne n’a réussi à me prouver que mon chemin n’était pas le bon.

Nous avons tous des choses à cacher, des secrets inavoués. J’aime fouiller dans la vie des personnes qui m’entourent et qui me conseillent dans mon travail. Je dépoussière les cadavres de leur placard et me sers d’eux pour les renvoyer à la moindre erreur. La médiocrité m’exaspère.

Je devais enfin me présenter à ma énième assistante. Je fis légèrement pivoter ma tête et me débarrassai de mon verre auprès de Cooper, puis me retournai.

La surprise fut telle que je dus m’appuyer sur la grande baie vitrée derrière moi afin de ne rien laisser paraître de mon étonnement. Seigneur ! Je n’avais jamais vu une femme aussi mal vêtue dans mon club et surtout aussi désagréable à regarder que miss Jimenez. Vingt-cinq ans, m’avait dit Cooper, pourtant elle paraissait en avoir seize à tout casser. Son corps de petite taille, d’un mètre cinquante-cinq ou cinquante-huit, disparaissait derrière des vêtements très amples qui l’engloutissaient tout entière. Ses mains tremblaient le long de son pantalon. Aucune manucure, des ongles rongés à l’extrême.

Mon regard se porta sur son visage. Encore une fois, je dus fournir un effort pour ne pas détourner les yeux tant le spectacle était étonnant et invraisemblable. Pas de trace de maquillage pour relever ce teint livide, ni pour cacher ces petites cicatrices sur sa joue que je devinais causées par une acné sévère lors de son adolescence. Ses lunettes aux verres épais comme des loupes lui prenaient toute la face et cachaient ses épais sourcils. Je remarquai un léger strabisme sur son œil droit, à peine visible, mais bien là. J’en conclus que miss Jimenez avait eu, pendant une bonne partie de son enfance, une frange en biais qui avait rendu cet œil paresseux. Sa tignasse brune embroussaillée était relevée en une sorte de boule sans forme au-dessus de son crâne. Cette gamine avait plus l’air d’un épouvantail que d’un être humain et son nez particulièrement allongé, brusqué, n’arrangeait pas les choses.

C’était la première fois que je voyais de la reconnaissance dans le regard de quelqu’un. J’avais l’habitude d’apercevoir des larmes dans celui de ma mère, de la colère dans celui de mes sœurs et de la peur dans celui des autres. A cet instant, la lueur d’un rayon de soleil caressa son visage, faisant ressortir ses prunelles noisette qui se fondaient dans les miennes. Une décharge électrique traversa ma poitrine. Je relevai brutalement la tête pour regarder ailleurs.

Je fermais les paupières. Mes fantômes étaient là, tapis dans le noir. Chaque âme, chaque vie que j’avais prise, attendait de s’inviter dans mon sommeil. Et cette nuit, comme toutes les autres, mes démons m’emmenèrent dans les abîmes les plus profonds.

Elle était si fragile, si vulnérable dans mes bras. Ses prunelles noisette m’aspirèrent sans que je m’y attende. A ce moment, j’éprouvais une nouvelle sensation qui était la chose la plus étrange qui ne me soit jamais arrivée. Sans ses lunettes, nos visages à quelques centimètres l’un de l’autre, je la voyais différemment. Mes yeux se baissèrent sur ses lèvres avec une force attractive, insupportable.

Soit je prenais son âme, soit Ronney me rendait la mienne.

Quand la porte claqua derrière elle, la bile me monta à la gorge. Je réalisais avec la plus grande terreur que Ronney était devenue, au fil des semaines, mon centre de gravité et que sans elle, à cet instant, tout s’effondrait autour de moi.