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Je te regarde,
Mais tu m'accordes
Amour et tendresse
De tout ton cœur.
Ne te repose en nul lieu,
Ne demeure en nul lieu,
Si tu ne m'aimes.
Je demande à Odin
Et à tous ceux
Qui sauront déchiffrer
Les runes des femmes
Qu'en ce monde
En nul lieu tu ne te reposes
Ou ne prospères
Si tu ne m'aimes
De tout ton cœur.
Puis dans tes os
Tu brûleras totalement
Et dans ta chair
Ce sera pire encore.
Que la malchance te frappe
Si tu ne m'aimes,
Que tes jambes se paralysent,
Que jamais tu ne récoltes le moindre honneur
Ou la moindre joie.
Brûle donc,
Que ta chair pourrisse,
Que tes vêtements se déchirent,
Si de ton plein gré
Tu ne me souhaites tien.
Afficher en entier[…] Au Moyen-Âge, les poursuites [judiciaires] étaient menées par des individus isolés. Quiconque se croyait trompé ou victime d'une conduite criminelle devait produire lui-même les chefs d'accusation et conduire l'audience. À l'époque, les procès étaient de vastes blagues. Si l'accusé n'avouait pas au tribunal ou s'il n'y avait pas de preuve claire de sa culpabilité, on laissait Dieu décider. Les accusés devaient passer des épreuves : marcher sur des braises, se faire jeter dans la rivière dans un sac, ce genre de choses. Si au bout d'un certain temps leurs blessures guérissaient, ou s'ils coulaient à pic dans l'eau, ils étaient considérés comme innocents. Alors c'est l'accusateur qui se retrouvait en difficulté, car à son tour de faire face au procès. On comprend que les gens aient été réticents à attaquer leurs congénères, car ils couraient le risque de voir le système se retourner contre eux.
Afficher en entierThóra Gudmundsdóttir épousseta précipitamment un Cheerio égaré sur son pantalon et reprit une contenance avant de pénétrer dans le cabinet d’avocats. Elle ne s’en tirait pas si mal. Le marathon matinal consistant à déposer à l’école et à l’heure sa fille de six ans et son fils de seize s’était déroulé sans trop de dégâts. Sa fille avait brusquement décrété qu’elle ne porterait plus de rose, ce qui n’aurait pas été un problème si la quasi-totalité de sa garde-robe n’avait été de cette couleur. Son fils, quant à lui, aurait volontiers porté les mêmes haillons toute l’année, pourvu qu’il y ait une tête de mort dessus. Son exploit consistait déjà à réussir à se réveiller le matin. Thóra soupira rien que d’y penser. Pas facile d’élever seule deux enfants. Mais ce n’était pas facile non plus quand elle était mariée. La seule différence était que, à l’époque, aux corvées du matin s’ajoutaient des prises de bec permanentes avec son mari. L’idée que tout cela était désormais derrière elle lui remonta le moral, et un sourire se dessina sur ses lèvres au moment où elle ouvrait la porte.
« Bonjour », lança-t-elle d’un ton guilleret. Plutôt que de lui retourner son bonjour, la secrétaire fit la grimace. Elle ne leva pas les yeux de son ordinateur et continua à cliquer avec sa souris. Toujours aussi joviale, pensa Thóra. Ce maudit problème de secrétariat avait coûté cher à leur société. Même en réfléchissant bien, Thóra n’aurait pas pu nommer un seul client qui ne se soit pas plaint de cette fille. Non seulement elle se montrait grossière, mais elle était incroyablement peu séduisante. Le problème principal n’était pas tant qu’elle puisse boxer dans la catégorie « poids super-lourds » que le laisser-aller général de son apparence. Pour couronner le tout, elle était continuellement de mauvaise humeur contre tout et tout le monde. Et, comble de l’ironie – ou était-ce par pur dépit ? –, ses parents avaient eu la bonne idée de l’appeler Bella. Si seulement elle pouvait démissionner de sa propre initiative. Elle n’avait vraiment pas l’air d’être heureuse avec eux, et on ne pouvait pas dire qu’elle s’épanouissait. Cela dit, Thóra avait du mal à imaginer un emploi capable de la dérider. En tout état de cause, il était impossible de la virer.
Lorsque Thóra et son associé Bragi – avocat senior et plus expérimenté – avaient uni leurs talents pour ouvrir un cabinet juridique, ils avaient été tellement emballés par les locaux qu’ils avaient laissé le propriétaire poser une clause restrictive au contrat de location, à savoir que sa fille soit employée comme secrétaire. À leur décharge, Thóra et Bragi n’avaient eu aucun moyen de deviner dans quoi ils s’embarquaient. La fille avait présenté une lettre de recommandation dithyrambique des précédents occupants, des agents immobiliers. Thóra était désormais convaincue que les derniers locataires avaient déménagé de cet emplacement idéal sur Skólavördustígur dans le simple but de se débarrasser de la Secrétaire de l’enfer. Et elle les imaginait très bien en train de se tordre de rire, encore aujourd’hui, en se remémorant la crédulité de Thóra et de Bragi. Thóra était tout aussi convaincue qu’en portant l’affaire devant les tribunaux ils pourraient obtenir l’annulation de la clause restrictive du fait du caractère douteux de ces références. Mais l’opération coûterait au cabinet la réputation qu’ils avaient tous deux réussi à se forger. Qui viendrait consulter une équipe juridique spécialisée en droit du travail qui se mélangerait les pinceaux dans ses propres contrats ? Et quand bien même ils réussiraient à se débarrasser de Bella, on ne pouvait pas dire que les bonnes secrétaires se bousculaient au portillon.
« Quelqu’un a téléphoné », marmonna Bella, scotchée à son écran d’ordinateur.
Thóra accrocha son anorak au portemanteau, puis se retourna, l’air surpris.
« Ah oui ? » Et elle ajouta, dans un fol espoir : « Et vous avez une idée de qui c’était ?
— Nan. Il parlait allemand, je crois bien. De toute manière, je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait.
— Et il avait l’intention de rappeler, peut-être ?
— Je n’en sais rien. Je lui ai raccroché au nez. Sans faire exprès.
— Dans l’hypothèse peu probable où il rappellerait, bien que vous lui ayez raccroché au nez, auriez-vous l’obligeance de me passer l’appel ? J’ai fait une partie de mes études en Allemagne, et il se trouve que je parle allemand.
— Hmpf, grogna Bella, avant de hausser les épaules. Finalement je ne suis pas sûre que c’était de l’allemand. Ça pouvait être du russe. Et c’était une femme. Je crois. Ou un homme.
— Bella, s’il y a un appel – que ce soit une femme de Russie, un homme d’Allemagne ou même un chien de Grèce qui parle une langue inconnue –, passez-le-moi dans mon bureau. D’accord ? »
Thóra n’attendit pas la réponse – d’ailleurs il était peu probable qu’elle en reçoive une – et se rendit directement dans son modeste bureau. Elle s’installa et alluma son ordinateur. Sa table n’était pas dans un état aussi chaotique que d’habitude. La veille, elle avait passé une heure à trier les papiers qui s’étaient empilés au cours du mois. Elle releva ses mails, commençant par jeter tous les courriers indésirables et les blagues d’amis et de connaissances. Il ne lui resta plus que trois messages provenant de clients, un de son amie Laufey avec pour objet Et si on allait se saouler la gueule ce weekend et un dernier de la banque. À tous les coups, elle avait dépassé le plafond de débit de sa carte de crédit. Et elle devait frôler le découvert. Par mesure de sécurité, elle décida de ne pas ouvrir le message.
Son téléphone se mit à sonner.
« Central Avocats, que puis-je faire pour vous ?
— Guten Tag. Frau Gudmundsdóttir ?
— Guten Tag. »
Thóra se mit en quête d’un papier et d’un crayon. De l’allemand formel. Elle nota intérieurement de ne pas oublier d’employer le Sie de courtoisie.
Elle ferma fort les yeux en espérant pouvoir compter sur les bases d’allemand qu’elle avait acquises au cours de sa maîtrise en droit à l’université de Berlin. Elle s’appliqua pour produire sa plus belle prononciation.
« En quoi puis-je vous aider ?
— Mon nom est Amelia Guntlieb. C’est le professeur Anderheiss qui m’a donné votre nom.
— Oui, j’ai suivi ses cours à Berlin. » Thóra espérait que ses tournures de phrases étaient correctes. Elle sentait bien que sa prononciation s’était rouillée, au fil des ans. En Islande, les occasions de pratiquer l’allemand étaient plutôt rares.
« Oui. » Après un silence embarrassé, la femme ajouta : « Mon fils a été assassiné. Mon mari et moi avons besoin d’aide. »
Thóra s’efforça de réfléchir vite. Guntlieb ? Est-ce que ce n’était pas le nom de cet étudiant retrouvé mort sur le campus ?
« Allô ? » Son interlocutrice semblait se demander si Thóra était toujours au bout du fil.
« Oui, s’empressa-t-elle de répondre. Désolée. Votre fils. C’est arrivé ici, en Islande ?
— Oui.
— Je crois connaître l’affaire à laquelle vous faites référence, mais je dois avouer que j’en ai seulement entendu parler aux informations. Vous êtes certaine de vous adresser à la bonne personne ?
— Je l’espère. Nous ne sommes pas satisfaits de la manière dont la police mène cette enquête.
— Ah oui ? » Thóra ne cacha pas sa surprise. Elle avait cru comprendre que la police avait résolu cette affaire de manière admirable. Le meurtrier avait été arrêté dans les trois jours qui avaient suivi ce crime atroce.
« J’imagine que vous savez qu’ils ont un suspect en garde à vue ?
— Nous en avons bien conscience, oui. Mais nous ne sommes pas convaincus qu’il s’agisse du coupable.
— Et pourquoi cela ? demanda Thóra d’un ton sceptique.
— Nous ne sommes pas convaincus, voilà tout. Cela ne va pas plus loin. » La femme s’éclaircit poliment la voix. « Nous souhaitons qu’une autre personne, quelqu’un d’impartial, prenne en charge cette affaire. Quelqu’un qui parle allemand. » Silence. « Vous devez certainement comprendre combien tout cela est difficile pour nous. » Nouveau silence. « Harald était notre fils. »
Thóra tenta de faire passer sa compassion en répondant lentement, à voix plus basse.
« Oui, je comprends bien. J’ai moi-même un fils. Il m’est impossible d’imaginer le chagrin que vous ressentez, mais je vous présente mes condoléances les plus sincères. Néanmoins, je ne suis pas certaine de pouvoir vous être utile.
— Je vous remercie de ces aimables paroles, répondit la femme d’une voix glaciale. Le professeur Anderheiss affirme que vous possédez les qualités que nous recherchons. Il a dit que vous étiez obstinée, ferme et tenace. » Thóra sourit en devinant que son ancien professeur n’avait pas osé aller jusqu’à dire « tyrannique ». La femme reprit : « Mais il vous dit aussi capable de compassion. C’est un proche ami de la famille, et nous lui faisons toute confiance. Êtes-vous disposée à prendre cette affaire ? Nous saurons vous récompenser avec largesse. » Pour appuyer ses propos, elle mentionna un chiffre.
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