Extraits

-(...)Tu vas en Provence. Dans ce cas, on ira au cinéma à ton retour. Non, pardon, il te faut six semaines pour y réfléchir c'est ça ? Alors je t'appelle à la mi-novembre, d'accord ? Ne t'en fais pas, je t'enverrai d'abord un e-mail pour te dire que je t'appelle, peut-être même que je devrais t'écrire la semaine d'avant pour te dire que je vais t'envoyer un e-mail, pour que tu ne me taxes pas d'effronterie.

Je regardai Dan.

-Je pense que ce serait beaucoup plus simple d'accepter tout de suite.

-Vous n'allez pas entrer avec un parapluie ouvert, quand même ?

-Bien sûr que non, répondis-je en le refermant et en le secouant vigoureusement. Je sais que, selon vous, ça porterait...

-...malheur, compléta Val en secouant la tête. D'autant qu'il est noir.

-C'est pire dans ce cas-là ?

Je franchis le seuil.

-Bien pire. Et vous n'allez pas le laisser tomber par terre dites-moi? Ajouta-t-elle anxieusement.

-Non...mais pourquoi ?

-Parce que si vous laissez tomber un parapluie, il y aura un meurtre dans la maison dans un avenir proche, et je préférerais éviter, car mon mari me met hors de moi, ces derniers temps. Et je ne veux pas....

-...tenter le sort ? Suggérai-je en plaçant l'instrument dans le porte parapluies.

-Exactement.

Je la suivis dans le couloir.

Val est petite, mince et pointue comme une épingle. Elle est également superstitieuse jusqu'à l'obsession. Non seulement – elle l'avoue volontiers – elle salue systématiquement les pies solitaires, s'incline sous la pleine lune et évite soigneusement de croiser des chats noirs, mais elle a une connaissance encyclopédique des superstitions et du folklore. Depuis quatre mois que je la connais, j'ai découvert que manger un poisson de la queue à la tête porte malheur, tout comme compter les étoiles ou porter des perles le jour de son mariage. Il est aussi malencontreux de laisser tomber son peigne pendant qu'on se coiffe – cela annonce une déception – ou de planter des aiguilles à tricoter dans une pelote de laine.

Inversement, trouver un clou, manger une pomme la veille de noël ou enfiler par erreur un vêtement à l'envers portent chance.

-Vous savez d'où vient le poivre ? Me demanda-t-il tout d'un coup.

-Aucune idée.

-Du Kerala. Au XVe siècle, il était si précieux qu'il servait de monnaie.

-Vraiment ? Fis-je poliment.

Je songeai qu'il était assez bizarre de se retrouver accroupie dans la cuisine avec un homme que je connaissais depuis une minute à peine, en train de deviser sur l'histoire du poivre.

Chaque robe a une histoire tout comme celles qui les portent !

Je caressai la mousseline arachnéenne d'un peignoir des années 50.

- Ce que j'aime vraiment... c'est qu'ils ont une histoire, dis-je lissant la bordure en marabout du dos de la main. Je me pose toujours des questions sur les femmes qui les ont portés.

- Vraiment ?

- Je m'interroge sur leurs vies. Je ne peux jamais voir un vêtement - comme ce tailleur...

Je m'approchai du portant des vêtements de jour pour en tirer une veste ajustée et un jupe en tweed bleu foncé des années 40.

- ... sans songer à la femme à laquelle il appartenait? Quel âge avait-elle ? Travaillait-elle ? Était-elle mariée ? Est-elle heureuse ? (Dan haussa les épaules.) Ce tailleur a une étiquette britannique du d"but des années 40, repris-je, alors je me demande ce qui est arrivé à cette femme pendant la guerre. Son mari a-t-il survécu ? A-t-elle survécu, elle ?

-J'ai laissé le manteau dans sa cachette jusqu'en 1948 quand , comme je vous l'ai dit , j'ai quitté Avignon pour recommencer ma vie à Londres - loin du lieu où s'étaient déroulés ces événements .

En posant la main sur la sonnette de Val, je sursautai. Une grosse araignée, de l'espèce qui émerge en automne y avait tissé sa toile. Je frappai donc à la porte, puis quand Val ouvrit, je lui montrai l'araignée.

Elle l'observa.

-Tiens c'est bon signe. Les araignées portent chance – vous savez pourquoi ?

-Non.

-Parce qu'une araignée a dissimulé l'enfant Jésus aux soldats d'Hérode en tissant sa toile devant sa cachette. Voilà pourquoi il ne faut jamais tuer une araignée, conclut-elle.

-ça ne me viendrait jamais à l'esprit.

-Tiens...c'est intéressant, dit Val en scrutant toujours l'araignée. Elle court vers le haut de sa toile, ce qui signifie que vous rentrez de voyage.

Je lui lançai un regard stupéfait.

-En effet, je rentre de France.

-Si elle avait couru vers le bas de sa toile, ça aurait signifié que vous alliez partir en voyage.

-Vraiment ? Vous êtes une mine d'information, déclarai-je alors que nous entrions.

-Je crois qu'il est important de savoir ce genre de chose.

Je songeai à la coiffeuse de ma mère. Jadis, on n'y trouvait qu'un flacon d'Huile Olaz – maintenant, on dirait le rayon pommades d'une pharmacie, avec ses tubes de Retin-A et de Vitamine C, ses pots de Dermagenèse et de Booster d'Hydratation, ses capsules pseudo-scientifiques de céramides à libération prolongée et d'acide hyaluronique pour restauration cellulaire avec résine époxy...

-Ce sont des rêves en pot, maman.

"Je me suis réveillée à 6 heures avec une boule dans l'estomac. Je me demandais si je devais appeler Emma mais je ne voulais pas la réveiller. alors j'ai pris ma voiture jusqu’à Marylebone et je me suis garée tout près de la maison qu'elle louait sur Nottingham Street. comme je savais où elle cachait ses clés de secours, j'ai pu entrer. La maison était en désordre. Il y avait un gros tas de courrier sur le paillasson. L'évier de la cuisine débordait de vaisselle sale. Je suis passée au salon, qui était également sens dessus dessous-des serviettes gisaient sur le canapé et la corbeille débordait de Kleenex usagés et de bouteilles d'eau vides. Emma était en pleine dépression, c’était évident. J'ai gravi l'étroit escalier, le long duquel elle avait accroché des photos de mannequins portant ses magnifiques chapeaux, jusqu'à la porte de sa chambre. Elle semblait silencieuse. je me rappelle avoir été soulagée: Emma dormait profondément, c'était ce qu'il lui fallait. J'ai poussé la porte et je suis rentrée sur la pointe des pieds. En m'approchant du lit, j'ai constaté qu'elle dormait si profondément que je ne l'entendait même pas respirer. Une bouffée d'angoisse me saisit.

"Emma, ai-je chuchoté, c'est moi. Elle n'a pas bougé."Emma, réveille toi". Toujours rien. Mon cœur battait à tout rompre."Réveille toi Emma. Il faut que je sache comment tu vas. Allez, Em."Elle ne répondait pas. J'ai paniqué. Emma, tu veux bien te réveiller, s’il te plait ? J'ai tapé dans mes mains, deux fois, à côté de sa tête. J'ai gémi."ne fais pas ça, Em, je t'en supplie."J'ai tendu la main pour la toucher...J'ai rabattu la couette. Emma était allongée sur son lit, en jean et tee-shirt,les yeux entrouverts, le regard fixe. son teint était gris. ses doigts étaient enroulés autour du téléphone. Je me rappelle avoir crié, avant de prendre mon téléphone. Ma main tremblait tellement que je n'arrêtais pas de rater le 9, mais j'ai réussi à dire que mon amie avait besoin d'une ambulance tout de suite, à l'instant... Mais tout en disant cela, je savais que c'était... qu'Em... qu'Emma était..."

On frappa derrière moi. Un homme d’environ mon âge, peut-être un peu plus jeune, se tenait de l’autre côté de la porte vitrée. Il était grand et costaud, avec d’immenses yeux gris et une tignasse de boucles blond foncé. Il me rappelait quelqu’un de célèbre, mais je n’arrivais pas à le replacer.

— Dan Robinson, déclara-t-il avec un grand sourire quand je le fis entrer. Désolé, je suis un peu en retard.

Je résistai à l’envie de lui rétorquer qu’en fait il était très en retard. Il sortit un calepin d’un sac élimé.

— Mon interview précédente a duré plus longtemps que prévu, et puis j’ai été coincé dans les embouteillages, mais je ne vous retiendrai pas plus de vingt minutes.