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On venait de piquer huit coups à la cloche du gaillard d’avant, l’entrepont avait été évacué. Le vaisseau avançait tout droit – d’aucuns auraient dit qu’il avait l’air décidé – vers la terre qui grossissait et semblait s’étaler des deux bords. C’était ce moment que tout marin garde en permanence dans ses pensées. L’atterrissage. Cet atterrissage précis. Le retour au pays.
La voilure, déjà réduite – il ne restait plus d’établis que focs et huniers –, se gonflait à peine. La toile rêche déversait encore de l’eau qui tombait en pluie, après cette dernière nuit de l’approche finale.
Les collines et les falaises, d’abord noyées dans la pénombre, puis qui s’éclairaient dans la lumière laiteuse du soleil levant. Les amers familiers aux plus vieux des marins, d’autres qu’annonçaient les vigies au fur et à mesure que la terre prenait forme et couleurs : vert sombre par endroits, mais les teintes brunâtres de l’hiver dominaient partout. Car on était au début du mois de mars, en cette année 1817, et l’air était aussi acéré que la lame d’un couteau.
Cela faisait huit jours qu’ils avaient appareillé de Gibraltar, une traversée rapide en dépit des vents contraires qu’ils avaient dû subir sans cesse pendant toute la remontée du golfe de Gascogne, avant les parages bien connus d’Ouessant et les approches de Brest, cette côte qui avait été si longtemps une côte ennemie. On avait toujours peine à croire que ces jours étaient révolus. Comme avait changé la vie de tous les hommes à bord de cette frégate gracieuse qui progressait lentement, le vaisseau de Sa Majesté Britannique Le Sans-Pareil, quarante-six canons, armé par deux cent cinquante marins et fusiliers.
C’était du moins la situation lorsqu’ils avaient quitté ce port, Plymouth. À présent, on sentait comme de l’excitation, mais aussi de l’inquiétude. Des mousses étaient devenus des hommes pendant qu’ils étaient au loin. À leur retour, c’était une autre existence qui les attendait. Quant aux plus âgés, comme Joshua Cristie, le maître pilote, ou encore Stranace, maître canonnier, ils penseraient à tous ces bâtiments que l’on avait désarmés, réduits à l’état de pontons, voire même vendus à leurs ennemis d’antan.
Car c’était là tout ce qu’ils possédaient. Ils ne connaissaient pas d’autre vie.
La longue flamme de guerre se souleva et resta ainsi raidie dans une risée soudaine. Partridge, leur gros costaud de bosco, cria :
– Les bras sous le vent ! Parés, les gars !
Même lui, dont la voix puissante savait se faire entendre dans les tempêtes les plus violentes et au milieu des bordées assourdissantes, semblait hésiter à briser le silence.
On n’entendait plus que les bruits du navire, les craquements du gréement, parfois le bruit sourd de la tête de gouvernail, leurs compagnons durant tous ces mois, durant toute une année depuis que la quille du Sans-Pareil avait goûté au sel de la mer. Et maintenant, le retour à Plymouth.
Aucun de ceux qui étaient là ne serait plus conscient que lui du défi qu’il risquait d’affronter.
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