Extraits

Sa canne-épée lui échappa des mains tremblantes. Il s’affaissa contre moi en poussant un petit gémissement, il s’accrocha aux revers de mon manteau et colla son visage contre mon torse. Surpris, je l’étreignis, et je sentis ses épaules être agitées de sanglots.

- Tout va bien, murmurai-je en lui caressant les cheveux.

J’essayai d’imaginer ce que la situation aurait donné si nos rôles avaient été inversés. L’idée même d’être confronté à quelqu’un… quelque chose, ayant pris le corps de Griffon, me rendit profondément malade. Je le serrai davantage et je tombai à genoux afin qu’il repose à moitié sur mes cuisses.

Extrait de Carroussel (point de vue de Griffon) :

Prononçant un mot, il invoqua le feu à partir de rien. Le bidon de distillat de pétrole explosa, projetant des fragments de métal dans toutes les directions. Je me jetai au sol, entraînant Whyborne avec moi.

- As-tu perdu la tête ? lui demandais-je.

- Je ne pensais pas que cela exploserait ainsi ! protesta-t-il.

Et il se demandait pourquoi je trouvais dangereux qu'il joue les apprentis sorciers.

- Et donc ? repris-je.

Il se mit à rire doucement contre ma bouche.

- Tu étais bougrement courageux. N'importe qui d'autre se serait enfui en hurlant, confronté à une telle chose, mais tu es resté et tu t'es battu. Et après cela, tu étais tellement certain, peu importe ce que nous venions de voir dans l'entrepôt, ou les secrets que l'Arcanorum révélait, que tout cela pouvait être expliqué par un système rationnel, même si nous ne le comprenions pas encore.

Il m'embrassa à nouveau.

- Et j'étais assis, dans la pièce où nous sommes en ce moment même, et je suis éperdument tombé amoureux de toi.

Je ne comprenais pas. Que pouvait-on bien aimer là-dedans ? J'avais simplement fait preuve de logique face à un système inconnu.

- Je ne suis pas courageux, protestai-je contre ses lèvres.

- Ival ?

- Oui ?

- Cesse donc de te débattre, accepte ce que je dis, et laisse-moi t'emmener au lit et te faire hurler mon nom.

- Souhaites-tu partager avec lui tes trouvailles ?

- Non, répondit Griffon. Pas encore, du moins. Il est avant tout l'employé de Monsieur Orme, qui ne semble pas voir d'un bon œil notre enquête. Si nous parvenons néanmoins à trouver une preuve qui le persuaderait, j'aimerais l'avoir à nos côtés.

- Whyborne, s'il vous plaît, cessez donc de martyriser ce porridge, me blâma Christine. Vous faites une pagaille incroyable.

- Oh !

Mes joues s'empourprèrent, et j'essuyai rapidement les éclaboussures de porridge avec ma serviette. Mes deux compagnons me regardèrent avec une curiosité inquiète.

- Et donc, euh ... souhaitez-vous allez en ville ?

- Je pense que je vais rester et travailler sur mon manuscrit, décida Christine. Se promener pour parler aux habitants du cru me paraît terriblement rasoir. Mais si par hasard vous devez abattre quelqu'un, faites-le-moi savoir et je viendrai immédiatement.

-Vraiment Whyborn, ce n’est qu’un rat, dit Christine en me poussant. J’avais manqué de lui marcher dessus.

-Inutile de sautiller partout en criant comme une pucelle.

-Je n’ai pas crié comme une pucelle. Mon cœur ne semblait pas décidé à reprendre un rythme normal.

-C’était une exclamation de surprise, rajoutai-je.

-Des plus viriles, dit Griffon, mais je crus déceler un effort de sa part pour dissimuler un sourire.

J’avais évidemment déjà traduit des objets trouvés lors de fouilles par le passé : d’anciens papyrus qui menaçaient de s’effriter si on les manipulait trop brusquement, ou encore des cartouches délicats gravés sur des amulettes. J’avais même traduit les séries de hiéroglyphes inscrits sur les socles des statues qui avaient été envoyées au musée. Tout cela m’avait émerveillé.

Parce que la vérité, c’était que me mentir à moi-même en disant n’être qu’un savant qui pratiquait la magie en dilettante m’avait simplement empêché de progresser. Et même s’il m’avait été impossible de prétendre n’avoir absolument aucun contrôle sur la magie, je me défaisais tout de même d’une grande part de responsabilités.En réalité, je contrôlais beaucoup de choses. Au vu du sombre tournant qu’avaient pris nos vies, considérant les horreurs que j’avais affrontées, il était de mon devoir de m’armer au mieux contre de futures menaces. Si nous survivions à cette nuit, j’arrêterais d’agir comme un amateur et je me consacrerais pleinement à l’étude des arts arcaniques. Je deviendrais un véritable sorcier, et malheur à quiconque nous menacerait alors.

I’m broken and scarred and selfish, but I swear, you’re the most important thing in the world to me.

Je ne m'étais jamais soucié de l'opinion d'autrui jusqu'à ce jour. Tout le monde me considérait déjà comme un excentrique. J'avais accepté mon sort bien avant d'atteindre l'âge adulte. Je n'étais pas assez athlétique, ni assez ambitieux, ni assez viril. J'étais trop livresque, trop calme, trop maladroit.

Cela me convenait parfaitement. Je menais une existence tolérable. Du moins, je le pensais.

— Griffon, s’il te plaît, c’est moi !

Ses yeux étaient larmoyants, mais il ne baissa pas la pointe de sa lame.

— Dis-moi quelque chose que Whyborne seul saurait.

— Je… je…

Mon cerveau cessa de fonctionner, incapable d’imaginer quoi que ce soit, encore moins quelque chose qui pourrait le satisfaire. Ma vie était calme et barbante, qu’y avait-il à dire ? Que j’aimais prendre des œufs au petit déjeuner ? Citer le nom de notre chat ? Ce n’était pas tout à fait une information personnelle.

— Nous sommes amants, dis-je.

Mais évidemment Elliot savait pour notre histoire, et donc les yayhous étaient peut-être également au courant. Il secoua la tête.

— Ce n’est pas suffisant, murmura-t-il.

Ses traits furent plongés dans un désespoir intense, et cette expression me déchira le cœur et me remplit de terreur. Quelque chose que personne d’autre que nous ne saurait, mais quoi ?

— Tu m’appelles Ival.

— D’autres personnes m’ont déjà entendu t’appeler ainsi.

Morbleu ! Que pouvais-je bien… Oh !

— Nous a… nous avons fait l’amour l’autre soir, pendant l’orage, tu m’as… tu m’as, euh, comment dire, léché l’a… l’a*us, bafouillai-je le visage pivoine.

C’est alors qu’une pensée atroce me vint.

— Et si Christine est avec toi, pour l’amour de Dieu, empale-moi de suite et que l’on en finisse !