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– Je remercie le Ciel de vous retrouver telle que vous promettiez de devenir lorsqu'on vous appelait dans le pays la petite fée des Marais. En effet, j'ai promis à M. le comte de Peyrac une femme belle et intelligente.
– Vous vous engagiez beaucoup. J'aurais pu devenir laide et idiote, et voilà qui aurait nui à votre métier d'entremetteur !
Afficher en entierSon regard s'attachait inconsciemment au visage de Joffrey de Peyrac. La pénombre qui envahissait la pièce par ce crépuscule hâtif d'hiver atténuait les traits défigurés du gentilhomme, et seuls s'imposaient les yeux noirs pleins d'une lumière passionnée, l'éclat des dents sur le sourire dont il accompagnait avec désinvolture ses paroles les plus graves. Le trouble entrait dans le cœur d'Angélique.
Afficher en entier_Me permettez-vous de m’asseoir à votre côté, madame ?
Elle inclina la tête en silence. Il s’assit, posa son coude sur la l’appui de pierre et regarda devant lui avec nonchalance.
_Il y a plusieurs siècles, dit-il, sous ces mêmes étoiles, dames et troubadours montaient sur les chemins de ronde des châteaux, et là avaient lieu les cours d’amour. Avez-vous entendu parler des troubadours du Languedoc, madame ?
Angélique n’avait pas prévu de genre de conversation. Elle était toute crispée dans une tension de défense et elle balbutia avec quelque peine :
_Oui, je crois…On appelait ainsi des poètes du Moyen Age.
_Les poètes de l’amour. Langue d’oc ! Langue douce ! Si différente du rude parler du Nord, la langue d’oïl. En Aquitaine, on apprenait l’art d’aimer, car, ainsi que l’a dit Ovide, bien avant les troubadours eux-mêmes, « l’amour est un art qui peut s’enseigner et dans lequel on peut se perfectionner en étudiant ses lois ». Vous êtes-vous déjà intéressée à cet art, madame ?
Elle ne savait que répondre ; elle était trop fine pour ne pas sentir la légère ironie de la voix. Telle que la question se trouvait posée, un oui ou un non eussent été pareillement ridicules. Elle n’était pas accoutumée au badinage. Étourdie par trop événements, son esprit de repartie l’avait abandonnée. Elle ne sut que détourner la tête, regarder machinalement du côté de la plaine endormie.
Elle se rendait compte que l’homme s’était approché d’elle, mais ne bougeait pas.
_Voyez, reprit-il, là-bas, dans le jardin, ce petit bassin d’eau verte où la lune plonge comme une pierre de crapaudine dans un verre d’anis… Eh bien, cette eau a la même couleur que vos yeux, ma mie. Jamais, à travers le monde, je n’ai rencontré de prunelles si étranges, ni si séduisantes. Et voyez ces roses qui s’accrochent en guirlandes à notre balcon. Elles ont la même teinte que vos lèvres. Non, vraiment, jamais je n’ai rencontré lèvres si roses… et si closes. Quant à leur douceur… je vais en juger.
Soudainement, deux mains l’avaient saisie à la taille. Angélique se sentit ployée en arrière par une force qu’elle n’avait pas soupçonnée chez ce grand homme maigre. Elle se trouva la nuque renversée au creux d’un bras dont l’étreinte la paralysait. L’affreux visage se penchait sur elle jusqu’à l’effleurer. Elle cria d’horreur, se tordit, soulevée de répulsion. Presque aussitôt elle se retrouva libre. Le comte l’avait lâchée et la regardait en riant.
_C’est bien ce que je pensais. Je vous fais une peur horrible. Vous aimerez mieux vous jeter du haut de ce balcon que de m’appartenir. N’est-ce pas vrai ?
Elle le dévisageait, le cœur battant. Il se leva et sa longue silhouette de faucheux s’étira sous le ciel lunaire.
_Je ne vous forcerai pas, pauvre petite vierge. Ce n’est pas dans mes goûts. Ainsi, on vous a livrée toute neuve à ce grand boiteux du Languedoc ? C’est une chose terrible !
Il se pencha et elle détesta son sourire moqueur.
_Sachez que j’ai possédé beaucoup de femmes dans ma vie : des blanches, des noires, des jaunes et des rogues, mais je n’en ai jamais pris une de force ni n’en ai attiré par de l’argent. Elles sont venues et vous viendrez aussi un jour, un soir…
_Jamais !
La réplique avait jailli, violente. Le sourire ne s’effaça pas du curieux visage.
_Vous êtes une jeune sauvage, mais cela ne me déplaît pas. Une conquête facile rend l’amour sans valeur, une conquête difficile lui donne du prix. Ainsi parle André le Chapelain, le maître de l’Art d’aimer. Adieu, ma jolie, dormez bien dans votre grand lit, seule avec vos membres gracieux, vos petits seins merveilleux, tristes d’être sans caresses. Adieu !
Afficher en entier– Je savais que vous viendriez, ma soeur, dit-il. Je vous attendais. Je voulais vous avertir que votre mari est mort en chrétien. Il était prêt et sans révolte. Il regrettait la vie, mais ne craignait pas la mort. À plusieurs reprises, il m'a dit qu'il se réjouissait de se présenter en face du Maître de toutes choses. Je crois qu'il puisait une grande consolation dans la certitude qu'il avait d'apprendre enfin...
La voix de l'abbé marqua une hésitation et un certain étonnement.
– D'apprendre enfin si la terre tourne ou ne tourne pas.
– Oh ! s'exclama Angélique que la colère ranima subitement.
Comme c'est bien lui !
Les hommes sont tous les mêmes. Cela lui était bien égal de me laisser sur cette même terre qui tourne, ou ne tourne pas, dans la misère et le désespoir !
– Non, ma soeur ! À plusieurs reprises il m'a répété : « Vous lui direz que je l'aime. Elle a comblé ma vie. Hélas ! je n'aurai été qu'une étape de la sienne, mais j'ai confiance qu'elle saura tracer son chemin. »
« Il a dit également qu'il voulait qu'on donnât le nom de Cantor à l'enfant qui va naître, si c'est un garçon, et de Clémence si c'est une fille.
Afficher en entier– Ce n'est pas un jour à pleurer, protesta Angélique.
– Que voulez-vous, ma chère, je ne suis pas au fait de tant de réjouissances.
Elle fit une petite lippe navrée.
– N'avez-vous point vu ma robe noire ? Je viens de perdre mon père.
– Oh ! Je suis désolée...
– Nous nous sommes tant détestés et querellés que cela redouble ma douleur. Mais quel ennui d'être en deuil pour des fêtes ! Connaissant la malignité du caractère de mon père, je le soupçonne...
Elle s'interrompit pour plonger son visage dans le cornet de carton que Binet lui présentait tandis qu'il aspergeait abondamment la chevelure de sa cliente d'une poudre parfumée.
Angélique éternua.
– ...je le soupçonne de l'avoir fait exprès, poursuivit la dame en émergeant.
– ...l'avoir fait exprès ? Quoi donc, madame ?
– De mourir, parbleu !
Afficher en entier-Dites-moi encore... Dites-moi ce que je peux faire pour mon mari?
-Tout ce que vous pouvez faire pour lui...
Il hésita, puis parla précipitamment :
-Allez trouver le bourreau et donnez-lui trente écus pour qu'il l'étrangle... avant le feu. Comme cela, il ne souffrira pas.
Afficher en entierAinsi la vie d'Angélique de Sancé de Monteloup commença sous le signe de l'Ogre, des fantômes et des brigands.
Afficher en entierLa nourrice avait dans les veines un peu de ce sang maure que les Arabes ont porté, vers le XIème, jusqu'au seuil du Poitou. Angélique avait sucé de ce lait de passion et de rêves où se concentrait l'esprit ancien de sa province, terre de marais et de forêts ouverte comme un golfe aux vents tièdes de l'océan.Elle avait assimilé pêle-mêle un monde de drames et de féerie. Elle en avait pris le goût et une sorte d'immunité contre la peur.
Afficher en entier– Il faut en effet partager les gens en deux catégories, répondit la veuve du spirituel cul-de-jatte : ceux qui vous sont utiles et ceux qui vous sont inutiles. Les premiers, on les fréquente pour obtenir des protections, les seconds pour le plaisir.
Afficher en entierMaître Georges se pencha et souleva délicatement l'emplâtre d'onguent et de charpie que Mariedje avait posé sur la longue estafilade faite par l'épée du chevalier de Lorraine.
– Hum ! Hum ! marmonna le barbier. Je vois ce que c'est. Un galant seigneur qui a trouvé qu'on lui demandait trop cher et qui a payé en « monnaie de fer », comme nous disons. Ne sais-tu donc pas, mignonne, qu'il faut garer leur épée sous le lit jusqu'à ce qu'ils aient porté la main à la bourse ?
– Et, de la blessure, qu'en pensez-vous ? interrogea Desgrez toujours flegmatique, tandis qu'Angélique était au supplice.
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