Commentaires de livres faits par Archibald
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du bleu
Notre Zodiac file plein sud, simple trait d'écume dans la mer Tyrrhénienne. Nous avons décidé, mon frère et moi, de nous rendre à Bue Marino, une grotte marine qui s'ouvre dans le golfe d'Orosei, sur la côte est de la Sardaigne, à un bon kilomètre de Dorgali, le port le plus proche. À bâbord, une eau bleue qui semble infinie; à tribord, de hautes falaises de calcaire blanc, véritable four en plein soleil, sans aucune possibilité d'aborder. Mieux vaut ne pas tomber en panne de moteur ici !
Nous repérons bientôt l'entrée de Bue Marino ; son nom est lié aux phoques moines qui y vivaient encore au siècle dernier : une grande bouche noire avec, sur les voûtes, les reflets bleu turquoise de la mer éparpillée. La profondeur est suffisante. Moteur au ralenti, nous entrons sous la terre. Et naviguons dans une haute galerie décorée de stalactites. Faire de la spéléologie en bateau est un grand luxe ! Bientôt il faudra aborder et continuer l'exploration à pied. Nous savons que des siphons vierges nous attendent au bout de ce réseau magnifique. Nous faisons demi-tour. Nous avons simplement évalué les difficultés d'approche au cours de cette reconnaissance.
Car de l'eau coule sous ces falaises : un véritable delta d'eaux souterraines qui voient de nouveau le jour à cet endroit, et glissent sur la mer plus dense, jusque fort loin au large. Bue Marino est l'une de ces résurgences. Tout près, au débouché du «canyon de La Lune» où Les Lauriers-roses poussent entre Les galets blancs, une autre, sous La mer cette fois : Cala Luna, formidable arrivée d'eau qui bouillonne après les pluies d'hiver, tel un geyser. L'équipe Cousteau y avait plongé ! Une référence... C'est notre première campagne d'exploration hors de France, au milieu des années 1970. Nous nous sentons L'âme des pionniers. Ce qui est sûr, c'est que la jauge du réservoir approche de la moitié. Or, nous n'avons qu'un jerrycan de dix litres en secours. Il va falloir rentrer... Un peu plus au large, nous bénéficions d'une vue plus générale de la falaise : cinq autres grottes s'ouvrent à sa base, presque contiguës, en forme d'as de pique à demi enfoncés dans les galets. La nature nous gâte ! Nous sommes venus pour les eaux souterraines, soit. Mais qu'y a-t-il sous la mer par ici ? Puisque nous avons deux équipements à bord, profitons-en !
Immobiles au-dessus de l'eau bleu turquoise et brillante, nous essayons d'évaluer le fond. Certes, nous disposons d'un sondeur à éclat (qu'il faut tenir à la main, plongé dans l'eau), mais aujourd'hui, le bougre fait du morse ! Pas le choix, il faut aller voir... Après tout, nous sommes en reconnaissance. Éric se sacrifie et reste à la barre : il suivra mes bulles. J'en ai pour quelques minutes.
DE LA MANTA
Le bateau était mouillé dans les eaux calmes d'An Atoll, aux Maldives. La journée avait été fantastique, comme toutes celles passées depuis le début de la croisière. Nous voguions d'atoll en atoll sous une brise légère, croisions parfois de frêles esquifs et saluions les pêcheurs de loin. Nous savourions l'illusion délicieuse d'être seuls au monde. Pour rompre cette langueur, soit nous cherchions les raies mantas - c'est un excellent stimulant cardiaque -, soit nous mettions un masque et nous glissions dans l'eau. Une palette de couleurs, d'espèces, de formes s'offrait alors à nous. L'exubérance de la vie à l'état brut.
Nous pouvions sillonner de vastes lagons, entourés de nuées de poissons aux couleurs électriques, palmer au-dessus de jardins de corail, plonger côté océan, la grande faune du large à portée de palmes. Mais le plus sensationnel, c'était les longues dérives dans les passes étroites, renouvelées grâce aux va-et-vient qu'effectuait Idam avec l'annexe. Petits requins, raies aigles, carangues, tortues, barracudas glissaient alors avec nous ou nous croisaient dans le courant.
Le soir venu, Adambé, le capitaine, abordait une île sauvage et mouillait à l'abri d'un récif ou dans le lagon. La douce lumière des couchers de soleil nous enveloppait, puis les aventures sous-marines du jour laissaient peu à peu chacun à son rêve sous un ciel étoile. Nous étions sept snorkeleurs à bord et avions un objectif commun : nager avec les raies mantas.
Elles nous ont acceptés dans le grand cirque pendant plus de deux heures. Elles étaient une trentaine, divisées en deux bancs. Elles sondaient ensemble puis réapparaissaient au bout de quelques minutes. On les voyait remonter du fond à grande vitesse, passer près de nous, faire demi-tour, revenir... D'un coup, elles se sont mises à tourner sur elles-mêmes, virevoltant juste sous la surface, affolant les énormes boules de petits poissons fourrage dont elles se délectent. Le ballet était magnifique. Après avoir vécu cela, chaque île, chaque récif au loin, chaque changement de teinte des eaux de surface nous donnaient l'illusion d'un monde peuplé d'animaux fantastiques. Nous savions désormais qu'aux Maldives, ce monde est réalité.
Nous avions regagné le bateau principal à la nuit tombée. L'espace dévolu aux cuisines, toujours bien éclairé, se situait à l'arrière du voilier. Cette lumière attirait des myriades de petits poissons. Mais ce soir-là, comme une invite à prolonger la féerie, une manta profitait de l'aubaine, alignant les tonneaux, la gueule ouverte, frôlant la coque du bateau à chaque passage. Elle tournait sur elle-même, telle une danseuse.
Fourbus, affamés, nous n'étions pas vraiment décidés à plonger pour nager avec elle. C'était une occasion peut-être unique de faire des photos de nuit avec l'animal, mais les ténèbres sous-marines à cette heure tardive ne nous inspiraient guère. De plus, nous savions que nos compagnons de voyage ne seraient pas de la partie.
Jérôme, qui conduisait cette croisière, sentit notre hésitation et plaisanta sur notre manque d'entrain.
- Allez, venez manger, vous aurez bien le temps d'y aller après un bon repas et un café. La raie manta sera toujours là.
“Vingt ans déjà que l’ouvrage de référence pour la découverte de la Méditerranée sous-marine a été publié par Steven Weinberg. À sa sortie, il faut bien le dire, rien d’équivalent n’existait et ce livre devint la bible de tous les plongeurs dont la mentalité commençait à évoluer. La recherche de la profondeur et de l’exploit sportif laissait petit à petit la place à l’observation des fonds et des organismes qui les occupent. Et Steven sut mettre en page ses connaissances acquises sur la Méditerranée, tant du point de vue scientifique que plongistique. Il a écrit un manuel qui a servi de livre de chevet où chacun trouvait enfin l’image, le nom et les détails sur la vie de ces êtres bizarres croisés dans un monde en 3D assez peu pénétré jusque-là et que les films de J.-Y. Cousteau avaient commencé à révéler.
Et ce qui devait arriver arriva, le stock fut épuisé rapidement et nombre d’Homo palmipèdes se sentirent désormais frustrés de ne plus pouvoir se procurer ce trésor !
Heureusement, l’auteur dont la ténacité, le courage (et il en faut pour s’attaquer à une telle entreprise !) et l’enthousiasme n’ont pas varié d’un iota au cours de ces vingt années et même plus (nous avons usé nos fonds de combinaisons sur les mêmes rochers à Banyuls-sur-Mer depuis… une quarantaine d’années !), a décidé d’entreprendre une réédition.
On ne peut que dire bravo d’autant que dans ce laps de temps, bien des choses ont changé, des aires marines protégées, des parcs marins, des réserves ont été mis en place. Les compétitions de chasse sous-marine en milieu naturel ont été supprimées et la FFESSM a même créé des brevets d’initiateur et de moniteur bio. Les mentalités ont évolué et le respect de la nature a fait son chemin. Les législateurs ont travaillé pour mettre en place des textes réglementant la pêche, la plongée… et un peu les transports maritimes.
Et puis le numérique a aussi supplanté la photographie analogique, ouvrant ainsi des horizons insoupçonnables et sans limites aux chasseurs d’images.
Et Steven, en avançant en âge (!), s’est, comme le bon vin, encore amélioré, lui qui est tombé dès son plus jeune âge dans la marmite de la Biologie grâce à un père fanatique de la mer et de l’infiniment petit.
Il nous offre ici un ouvrage relooké, corrigé s’il en était besoin, mis à jour pour ce qui concerne la systématique et la nomenclature, accompagné de nouvelles illustrations d’excellente qualité qu’il est allé capturer dans tous les recoins du bassin méditerranéen. Le style est toujours alerte, teinté d’un humour qui agrémente le sérieux scientifique et souvent émaillé de détails croustillants sur la libido torride… de la bonellie ou des limaces de mer !
Enfin, et comme toujours, ce document est un plaidoyer pour la protection de la Méditerranée, mer qui a subi depuis l’Antiquité les pires outrages.
Observons, admirons, apprenons, ce sont les trois voies que ce livre nous incite à suivre.
En vous instruisant, plongeurs, profitez et respectez cette « mare mediterranea » et permettez ainsi à vos enfants et petits-enfants d’en bénéficier à leur tour.“
Alain COUTÉ
Professeur émérite,
Muséum national d’Histoire naturelle