Confession d'une groupie

J'ai toujours ressenti un respect mêlé d'admiration pour mon père, si grand et si beau. Il ressemblait beaucoup à Clark Gable et disparaissait tous les week-ends pour aller chercher de l'or au fin fond du Mexique. Il avait toujours rêvé de faire fortune, aussi, juste avant ma naissance, ma mère et lui quittèrent Pond Creek, dans le Kentucky, pour s'installer dans la contrée de l'or, ce qui me permit de voir le jour en Californie. On vivait à deux pas de Sunset et de Vine, dans une petite maisonnette de rien du tout sur Selma Avenue, et, après une série de boulots peu lucratifs du type vendeur d'aspirateurs, mon père s'aventura dans les massifs d'arbustes sauvages de la cambrousse autour de la vallée de San Fernando, pour chercher sa maigre fortune en embouteillant des Budweiser. Il fit une folie en se payant une Cadillac couleur crème, qu'il paya par traites échelonnées sur soixante-douze mois, et nous vécûmes dans la même maison à deux étages pendant douze ans, ce qui me procura un véritable sentiment de sécurité. J'avais deux parents, un chien, un chat, une perruche appelée Buttons, et trois bons repas par jour. Dans mes jeunes années, ma mère s'assura que mon papa donne l'impression d'être une figure paternelle docile et dévouée, mais malgré tout ses efforts et toutes ses souffrances, cela ne changea rien au fait que mon père était originaire du Vieux Sud, tandis que j'étais de l'Ouest nouveau.

A quatorze ans, deux événements marquèrent profondément ma vie. Le premier fut le revirement de mon père, qui m'autorisa à enlever les petits poils très fins de mes jambes toutes fines (sans me permettre toutefois de passer le rasoir Lady Schick au-dessus du genou), et je goûtai un moment d'indépendance qui restera inégalé jusqu'à ma mort quand, seule dans la salle de bains carrelée de rose, je versai une giclée de Jergens dans ma paume pour l'étaler sur mes mollets glabres de poupée Barbie. Comparé au fait d'avoir mes règles, ce premier rasage fut une initiation beaucoup plus excitante et téméraire à la phase élémentaire de la féminité... entrer dans le monde sans poils aux mollets : Vie, Liberté, et Recherche du Bonheur ! Le second événement impliqua une voiture volée, un mauvais garçon et la chanson «He's a Rebel». Dennis MacCorkell, un boutonneux au dos voûté, qui traînait les pieds et avait toujours la clope au bec, était l'archétype du bad boy comme on en trouvait dans presque tous les collèges en 1962. À chaque fois qu'on se croisait dans les couloirs, il me criait «Hé ! Pas de culotte !» Je prenais ça pour une marque d'affection, rougissant avec à-propos.