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"Pourquoi voulez-vous m'empêcher de parler ? s'insurgea-t-il. La parole vous fait peur ?
- C'est pour ton bien, crétin ! répliqua Bonny. Tu devrais pourtant savoir qu'on ne dispose que d'un certain nombre d'exemplaire de chaque mot, dans notre tête. C'est comme une boutique, si tu préfères, avec des étagères. Y'a dix milles exemplaires du mot 'maison', empilés dans un coin. Cinq mille du mot 'cheminée', et ainsi de suite... Chaques fois que tu emploies l'un de ces mots , c'est un exemplaire qui disparaît, et qui ne sera pas remplacé, tu piges ? Quand t'as usé tous les exemplaires, tu ne peux plus utiliser ce mot. Même si t'essayes, il ne te vient plus sur la langue. C'est pour ça que les vieux ont du mal à parler, ils ont usé tous les mots qu'ils avaient à leur disposition. Le truc, c'est de ne pas gâcher ses réserves en parlant trop. Sinon on devient muet. Surtout que les mots sont pas stockés en quantités égales. Y'a des mots rares, qu'il faut pas trop prononcer parce qu'il n'y en a qu'une douzaine tout au plus sur l'étagère de la boutique.
- Oui, fit rêveusement Dorana. Les mots d'amour par exemple.
- Et les trucs de sexe", ajouta Ponzo d'un ton docte.
Robin se retint de sourire. La poésie involontaire de ce système le séduisait. Il se demanda si les enfants y croyaient réellement. Etait-ce là une ruse de leur grand-père pour les obliger au silence ?
"C'est la même chose pour les rires, pontifia Ponzo. On ne dispose que d'un certain nombre d'éclats de rire. Quand on les a tous utilisés, on devient triste, pour toujours.
- C'est pour ça qu'il ne faut pas se marrer à tout bout de champ, approuva Dorana.
- Ouais, résuma Bonny, faut économiser pour plus tard. Sinon tu te retrouves muet et triste parce que t'as tout dilapidé quand t'étais petit."
Afficher en entierRobin sursauta. Un type assis sur le talus le regardait en souriant. C'était un jeune homme barbu, chevelu, vêtu d'un treillis militaire décoloré, et qui traînait un sac à dos dépenaillé portant, au pochoir, l'inscription "1st Airborne Paratroopers". Il avait un visage de Jésus dynamique, parfaitement remis de sa crucifixion, et qui vous montrerait ses mains percées en lançant : "Hé Podna' c'est cicatrisé, j'peux de nouveau jouer au billard !"
De son pantalon retroussé émergeaient des pieds nus, caparaçonnés par le cal, et d'une incroyable saleté.
"Je te salue, O toi, l'enfant des tunnels, l'ange expulsé par la matrice de la Compagnie des chemins de fer ! lança l'inconnu en se prosternant. Es-tu l'un des avatars du Bouddha ? Amu Namida Butsu... Vois, je fais allégeance, et si tu daignes t'approcher, je te baiserai la cuisse, comme faisaient les barons du Moyen Âge lorsqu'ils se déclaraient féal d'un haut seigneur portant bannière."
Afficher en entier"Les animaux jouent un grand role dans l'imaginaire enfantin. Ils sont source de sécurité, ils sont à la fois des consolateurs, des complices, des supports projectifs. L'enfant leur prête ses propres sentiments, ou des attitudes qu'il voudrait qu'on adopte vis à vis de lui. Les bêtes au milieu desquelles Robin prétend avoir grandi sortent tout droit d'un conte de fées. Même les lions y sont adorables. D'ailleurs il s'agit de lionceaux, c'est à dire d'animaux eux même fixés à un stade infantile"
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