Extraits

Le charme qui l'avait envoute un instant s'etait evapore quand elle senti les hurlements de William. Il etait au telephone et vociferait. Meme si elle ne pouvait rien entendre d'ici, elle arrivait sans peine a interpreter certains propos Il reposa violement son portable sur un carton avant de retourner a son ordinateur. Il fit le chemin inverse, s'empara du telephone, gueula encore dix bonne minute pour retourner a son ecran. S'il n'etait pas si furieux, Elsa aurait ri, mais sa colere etait visible a travers les fenetres, meme a l'autre du jardin. William etait tres expressif, ses emotions se lisaient facilement. En tous cas la colere se fit elle la reflexion.

Son coeur se mit a palpiter, elle le sentait impulser de l'elan a son flux sanguin et il lui semblait que toutes ses veines, tous ses battements se concentraient au bas de son ventre. Vierge par la force des choses, elle n'avait connu le plaisir que du bout de ses doigts. La vue du torse nu de William, la sueur qui perlait sur ses abdos, c'etait comme elle l'avait reve. Ce fut plus excitant que n'importe quel film porno ou lecture d'Anne Rice. Elle ne put s'empecher de fantasmer. Elle le reluqua a bonne distance et a l'abri dans son cocon, elle se sentait en securite et en meme temps, elle etait grisee par l'idee d'etre surprise. Ce serait mortifiant. Elle profita donc de l'anonymat et de la vue pour laisser son esprit, vagabonder. Quand elle le vit s'installer sur le canape, jambes ecartees et les doigts sur les boutons de son jean, elle prit feu. Une veritable combustion spontanee. Elle recula de la fenetre pour se remettre de ses emotions.

La nuit fut longue et ses reves... erotiques.

Tout en piochant dans son assiette, il avait le regard rive sur l'ecran. Elle pouvait profiter de la vue tant que son canape serait dispose ainsi, mais il risquait de se retrouver colle au mur lorsque l'amenagement de l'interieur sera finalise et Elsa ne contemplerait plus qu'un ecran geant, comme pour les voisins precedents. Elle profitait de chaque seconde, sachant que le spectacle serait de courte duree. Elle etait surprise de le voir avaler son plat en quelques bouchees seulement. Il s'abreuva a meme le goulot de la bouteille de coca. Elle se nourrissait de ses mimiques, elle emmagasinait le plus d'images possible, pour les emmener avec elle dans son lit.

Quand il s'assit sur un carton pour en ouvrir un autre, William pensait toujours a cette porte qui lui avait repondu. Enrobee de mystere et de velours, elle l'avait fait fantasmer. Il se demanda a qu'elle genre de femme pouvait appartenir une telle voix ; grave, mais avec un timbre jeune et un je-ne-sais-quoi de melodieux. Il guettait la fenetre de la cuisine voisine, et dans l'obscurite de la nuit, les stores baisses le faisaient jouir d'un spectacle d'ombres chinoises tout a fait exquis. Une silhouette, fine et elancee, une epaisse chevelure maintenue haute sur la tete dans une queue de cheval qui retombait derriere sa nuque, s'affairait avec grace. Il etait de moins en moins a meme de donner un age a cette entite feminine, sans visage, sans nom et sans marque dans le temps. Pour cette nuit il s'en accommoderait. Meme s'il etait tente par le defi de decouvrir ce que cachait cette porte qui parlait. Il etait aussi assez perspicace pour reconnaitre un comportement apeure. Le tremolo qu'il avait percu dans cette voix, avait resonne a ses oreilles comme mille excuses pour ce comportement. Puis au-dela de ca, il avait ressenti comme un appel a l'aide silencieux.

Elle maudissait, a voix haute, le parasite au look mi- grunge, mi- one direction qui venait de sonner a sa porte. Les cheveux ebouriffes sexy, d'un chatain cuivre. La peau blanche mais teinte par une exposition massive a la lueur du jour. Un tee-shirt qui jadis avait du etre noir mais qui maintenant etait d'une couleur caca d'oie fonce ou bouse eclaircie d'un ton, a l'effigie d'une paire de menotte brisee a la chaine. Son jean avait surement appartenue a son pere et qui devait certainement en avoir herite de son propre pere. Ses baskets... Evitons les sujets scabreux.

C'est ainsi qu'elle avait referme le rai qui la separait de ce monde effrayant et de cette pauvre veuve qui avait trouvee en Elsa un parfait exutoire a sa legitime colere. Elle ne s'offusquait plus des reactions que suscitait sa maladie. Mais parfois, comme quand elle avait du faire face a la detresse de Michelle, elle ressentait un profond degout pour elle-meme. Elle se trouvait tellement horrible, qu'elle voulait epargner sa presence aux autres. Alors elle gardait portes closes quitte a en souffrir davantage. Dans ses reves Elsa n'etait ni un mannequin, ni une quelconque star. Dans ses reves les plus fous, les plus idealistes, elle etait secouriste aerien. Elle allait a travers le ciel et sauvait des victimes. Mais incapable de sortir sur le perron pour venir en aide a un mourant, n'avait-elle pas rompu le serment d'Hippocrate avant meme de l'avoir prononcee ? Dans sa solitude, elle s'acharnait sur son travail, debordant d'une hardiesse qu'elle ne pouvait canaliser. Pour exterioriser sa rage et sa mauvaise energie, elle s'etait fait livrer tout un attirail de machines de tortures tel qu'un tapis de course ultra sophistique avec casque visuel pour se donner l'illusion de courir en plein air, un rameur, une plateforme vibrante... Elle avait installe le tout dans l'ancienne chambre d'enfant.

Au demenagement de ses voisins d'a cote, les Letellier, Elsa savait qu'elle devrait tout recommencer a zero avec les nouveaux et cette perspective l'effrayait.

Il y avait d'abord cette premiere etape, celle qui consiste a se presenter et elle en etait tout simplement incapable. Michelle Letellier, au premier abord, avait declaree Elsa folle, ce qui etait surement vrai. Mais apres avoir rencontres les parents d'Elsa, Michelle et son epoux Marc avait pris Elsa en sympathie. Jusqu'au soir ou Marc fut saisi d'un infarctus et Michelle, completement desemparee, avait supplie l'aide d'Elsa. Cette derniere, incapable de sortir, n'avait pu secourir personne. Depuis, dans toute la commune et en plus de passer pour une folle, elle etait aussi devenue un paria. Une femme sans ame qui laissait crever les honnetes gens juste sous sa fenetre. Dans la mesure ou elle ne sortait pas, elle evitait les regards hostiles et les messes basses sur son passage. Mais elle ne pouvait pas echapper aux reseaux sociaux qui lui rappelaient a quel point elle etait mauvaise, laide et insignifiante.

En s'approchant du perron, le detecteur de presence declencha la lumiere. Il sonna une premiere fois timidement et attendit patiemment. Il eut le temps d'admirer le parterre de fleur joliment entretenue avant de reiterer, mais personne ne vint lui ouvrir. Apres de longues minutes, il vit le rideau de la fenetre du vestibule trembler puis revenir a sa place. Il etait maintenant certain de la presence de quelqu'un. Un peu froisse de l'accueil et surtout, par enfantillage, il sonna sans s'arreter jusqu'a ce qu'on lui ouvre la porte. Il avait tout son temps, se dit-il, plus tetu et insolent que jamais.

Meme pas peur ! S'encouragea-t-il en deballant un premier carton. Il etait courageux, cela ne faisait aucun doute, il etait meme fougueux, voir temeraire, mais comme peut l'etre un ado de dix-sept ans. Il avait aussi le meme temps de concentration, si bien qu'il lui faudrait au moins huit jours pour que sa maison soit a peu pres habitable. Habituellement fourre avec ses amis d'enfance, Samy et Fabrice, aucun d'eux ne se trouva libre pour lui donner un coup de main. Samy etait l'homme d'affaire et Fabrice l'homme de coeur. Le premier etait celui qu'on appelle pour faire disparaitre un corps et le dernier serait sans doute celui qui appellerait les flics pour les denoncer.

Pourquoi etait-ce autant le foutoir ? se demanda William, sur le seuil de sa nouvelle acquisition. Cela etait sans doute inherent a chaque emmenagement, fini-t-il par se convaincre. Il avait pourtant bien tout range dans les cartons, tous impeccablement etiquetes et meme comme ca, il ne s'y retrouvait pas. De nature peu anxieuse, il s'assura seulement de la presence de son ordinateur qu'il s'empressa de brancher.

En moins d'un mois, il venait de prendre les deux plus grandes decisions de son existence. Celles qui sont censees vous faire grandir. Son pere lui disait depuis toujours, meme petit, qu'il lui fallait murir. Ce concept etait inconnu de William. C'etait un eternel adolescent, tant dans sa facon de s'habiller, que de se nourrir, dormir, ou penser, bref, un vrai gamin. Le seul domaine ou il etait assidu, c'etait pour raconter des histoires droles et en faire des dessins animes. D'un humour potache, parfois grivois, il ne prenait jamais rien, ni personne, au serieux. Sa mere, aimante comme les latines en ont la reputation, s'etait toujours montree comprehensive envers son fils. Chaleureuse et attentive, elle l'avait pousse a vivre ses reves, malgre les reticences de son epoux (un veto, suivi d'ultimatum qu'elle avait affronte avec bravoure et avait gagne la bataille, et quelle bataille !) William etait finalement parvenu a se faire remunerer pour s'amuser. A la maniere dont avait ete eleve l'unique fils de parents aises, longtemps il avait pense que tout le monde vivait comme ca ; dans un havre de paix baigne de confort, d'amour et d'attention. Les voyages, les etudes et la vie, lui apprirent que les choses etaient loin d'etre aussi douces et rigolotes chez les voisins, mais d'un optimisme exacerbe, il refusait de voir le mauvais cote des choses.