Extraits

« - Tu es prête depuis toujours West, tu l'as juste un peu oublié, c'est tout.»

Sous ma peau sale, mon cœur bat furieusement, à peine contenu par mes os déloyaux et mes muscles minables. Je me précipite pour voir ce que j'ai fait. Jamais auparavant je n'avais raté une cible de cette façon, aussi mal calculé mon coup, fait une EC. Comme Taje... comme ma mère.

Mais je retrouve mon souffle. Elle n'est pas morte, elle n'agonise pas, elle est seulement blessée. Une plaie superficielle, non fatale. La main pressée sur son côté pour empêcher le sang de couler, elle essaie déjà de se redresser et de comprendre ce qu'il vient de se passer. Elle m'adresse un regard vide, hébété, mais elle ne divague pas.

Je dirige alors mon attention sur ma cible, qui lève les yeux vers moi. Lui sait très bien qui je suis, et pourquoi je suis là.

Je braque à nouveau mon arme. Cette fois-ci je ne rate pas.

Le soulagement de voir la fille en vie disparaît aussitôt, comme pour laisser place à la seule détermination qui doit m'accompagner jusqu'à la fin de cet accomplissement.

Je me penche pour vérifier le pouls. Rien. Maintenant qu'il est mort, son cou relâché paraît aussi doux que celui d'un petit garçon. Et il n'y a plus rien dans ses yeux.

Je m'en vais et envoie un message à mon client pour lui rappeler de me transférer le reste du paiement et de faire venir les nettoyeurs.

Je redresse légèrement le tableau au mur, je remets les vases sur la cheminée et la pancarte blanche sur la poignée extérieure de la porte d'entrée. Si je le pouvais, je fermerais à clé, je ferais mon possible pour laisser la maison comme je l'ai trouvée

-paisible et intacte. J'ai besoin de croire que je peux continuer ainsi sans trop changer, sans abandonner une trop grosse part de moi-même.

elle quitte le terminal. Et elle vient dans ma direction. Avant que mon rythme cardiaque n'arrive à se calmer, je la vois s'arrêter brusquement et articuler quelques mots -probablement pour savoir l'heure. Puis elle sort son téléphone, appelle quelqu'un, tourne les talons et s'éloigne.

Je veux croire que je peux dompter mes cauchemars, ceux qui reviennent à la nuit tombée et se font à peine discrets en plein jour. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi Chord, dont la proximité m'effraie. Mon Alt... une balle perdue... si je le perdais lui aussi, je serais anéantie.

Je suis égoïste. Assez égoïste pour nous deux. Devenir une chasseuse comblera le vide qui s'est installé dans ma poitrine, m'empêchera de devenir dingue. Et me rendra assez forte pour survivre.

« Si je le revois tout de suite, j'ai peur de reconnaître quelqu'un d'autre. »

« Une partie de moi est tentée de céder. Mais l'autre est effrayée à l'idée de ne plus être seule, et que le monde se rallume. Que tout se remette à me faire mal. »

« Tu ressens tout trop fort, et trop souvent. Je crois que tu ne sais pas comment ne pas le faire. »

«Il ébauche un sourire plein de tendresse, désolé et désespérément malheureux. Un sourire qui ne cessera de me hanter.»

Le pistolet de Luc -mon pistolet- propre et paré pour sa prochaine mission. A côté se trouve le vieil étui à couteaux d'Aave où je range maintenant ma propre collection de lames. Rien d'extravagant, mais c'est plus que suffisant.

Je ne suis pas encore aussi douée avec un couteau que l'étaient mes frères -surtout Aave, le meilleur de sa classe. Cependant je progresse, je deviens plus forte. Ma lame n'hésite plus, mon poignet ne s'ankylose plus. Les années d'entraînement aux côtés de mes frères, additionnées à mon travail de chasseuse, n'ont eu qu'un seul but : me préparer à une épreuve qui ne va pas durer plus de deux ou trois secondes.

Seule mon aptitude au lancer laisse à désirer. C'est mon seul point faible, ce à quoi la nature a décidé que je devrais travailler d'arrache-pied pour atteindre un niveau à peine convenable.

Je dépose l'étui dans mon sac, un cran d'arrêt dans chacune de mes poches et le pistolet dans la dernière. Ce sont eux qui vont me garder en vie. Pas la nourriture, pas les vêtements, pas l'argent. A quel point ces objets me seront-ils utiles, quand je la verrai ? Quand elle me verra ?