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C’était ce que ma mère m’avait appris de plus précieux : exprimer mes émotions en gestes, leur infuser mes joies comme mes peines, afin de m’affranchir du trop-plein. 

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— Alors comme ça, vous êtes venu sans arme aujourd’hui ? plaisantai-je dans l’espoir de détendre l’atmosphère tout en farfouillant dans mes affaires. Rassurez-moi, aucune pelle à tarte n’est dissimulée dans l’une de vos poches ?

Mentalement, je me frappai le front. Pourquoi ne pouvais-je pas plutôt la fermer, tout simplement ? Il fallait croire que j’aimais remuer le couteau dans la plaie – ma plaie –, de toute évidence… 

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J’arrivai à la fin de la chorégraphie lorsque les yeux couleur d’hiver de l’inconnu occupant désormais l’ancien appartement de Julien me revinrent subitement en mémoire…

J’avais tout fait pour ne pas penser à cet homme froid et impitoyable. Mais la danse levait toutes les barrières, même celles que je m’acharnais à maintenir en place.

En esprit, je vis ces iris pâles au reflet triste, presque éteint par l’asphyxie de la solitude… Un reflet qui m’était bien trop familier, que j’avais la désagréable impression de déjà connaître.

Et tout à coup, ils furent là, à seulement quelques pas de moi… Des yeux d’un bleu délavé si froid qu’ils me glacèrent immédiatement.

Stupéfaite et à bout de souffle, je m’arrêtai en plein milieu d’une figure, oubliant que j’étais professeure en pleine démonstration devant des élèves. Désorientée et fébrile, j’examinai le public, certaine d’avoir été victime d’une illusion.

Puis je l’aperçus…

L’homme se tenait derrière le mur vitré qui séparait les salles de cours du couloir menant aux vestiaires. Il m’observait avec attention, plusieurs autres parents et enfants à ses côtés. Mais je ne voyais plus que lui…

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Ma propre enfant était mal à l’aise en ma présence – tout comme je l’étais d’ailleurs moi-même. J’ignorais comment cette distance gênée et anxieuse s’était installée entre nous, mais elle ne faisait que grandir. Bientôt, je serais un étranger pour ma fille, à force de ne lui montrer de moi que cette ombre terne que j’étais devenu…

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J’avais pourtant tout fait pour me convaincre que j’allais bien, que ni la trahison de Julien ni cette désastreuse rupture n’avaient eu de prise sur moi. En vain. Il me fallait désormais reconnaître qu’il s’agissait d’un échec.

Je n’étais pas un roc, j’étais une fontaine…

Je n’étais pas différente des autres femmes, comme je me plaisais à le croire, et encore moins invulnérable. J’étais seulement restée sourde à mes propres émotions. Rigide en surface mais si friable à l’intérieur que la première bourrasque venue m’avait cueillie et emportée tout entière dans sa tourmente.

Je savais que c’était irrationnel – voire carrément injuste –, cependant je ne pouvais m’empêcher de penser que tout était la faute de cet homme…

L’inconnu à la pelle à tarte.

Sans lui, sans son regard de givre et son dédain glaçant, sans la honte terrible qu’il m’avait forcée à éprouver, jamais je ne me serais ainsi écroulée. Pas devant témoin, en tout cas…

Il était le déclencheur. Il était donc le responsable. C’était bien plus facile d’envisager les choses sous cet angle – même si cela revenait à se voiler la face, mais peu m’importait.

D’accord, je n’aurais clairement pas dû me lancer dans cette quête idiote de revanche et tous ces petits coups bas flirtant avec l’illégalité – d’autant plus que je m’étais complètement plantée… Mais l’inconnu aurait tout de même pu, quant à lui, faire preuve d’un peu plus de souplesse et surtout de sens de l’humour, plutôt que de se montrer aussi odieux et méprisant à mon égard. 

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Je suis ridicule ? répétai-je, bouillant intérieurement.

À l’évidence, l’inconnue avait dû se tromper de cible. Sans doute les persécutions que j’avais subies durant des semaines étaient-elles en réalité destinées à ce fameux Julien – probablement l’ancien occupant des lieux, de ce que j’en déduisais. Peut-être même cette femme n’était-elle pas aussi timbrée que cela, après tout…

Elle se comportait néanmoins comme une vraie garce et méritait une leçon. La moindre des politesses, après une telle méprise, aurait été de s’excuser platement et de faire profil bas. Non d’invectiver de la sorte la victime collatérale de ses pitreries douteuses. Et puis, quoi qu’il en soit, il ne fallait pas être très net pour s’adonner à de telles activités, peu importe ce qui motivait ses agissements.

Elle haussa les sourcils et ouvrit les bras, me désignant d’un geste.

— Vous me menacez avec une pelle à tarte. Qu’est-ce qui pourrait être plus ridicule ?

— Je…

Je regardai l’objet dans ma main et crispai les doigts autour du manche de ce qui n’était définitivement pas un couteau, comme je l’avais cru.

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Comme s’il s’agissait d’un secret que je devais garder, ne serait-ce que pour préserver l’inconnue de l’embarras.

Non, pas une inconnue. Elle s’appelle Romy Debussier, me corrigeai-je intérieurement.

Mais le simple fait qu’elle m’ait donné son nom, son adresse ainsi que son métier devait-il automatiquement lui conférer un autre statut que celui de parfaite étrangère à mes yeux ? Cet échange improbable que nous avions eu, elle et moi, ne revêtait-il pas une dimension quelque peu intime ?

Après tout, j’avais vu cette femme pleurer. Sa hardiesse et son impertinence insupportables s’étaient d’un coup transformées en sanglots incoercibles, tel l’aveu d’un profond mal-être, trop longtemps refoulé. Pire, je l’avais épiée de la fenêtre tandis qu’elle se précipitait dans sa voiture où, une fois toutes portes closes, ses pleurs s’étaient encore intensifiés…

Elle m’avait harcelé des semaines durant sur un stupide malentendu. Elle m’avait tenu tête après que je l’avais surprise en plein délit, son erreur lui éclatant brusquement en plein visage. Et cependant, j’éprouvais comme de la peine pour elle.

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Oui, j’étais l’une de ces tantes qui effraient les enfants pour mieux les mener à la baguette et les soudoient à l’occasion, prête à tout – ou presque – pour obtenir un semblant de tranquillité. Liora avait besoin d’une bonne soirée de détente entre adultes, et je comptais bien la lui offrir, peu importait le prix à payer…

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- Qui aurait cru qu'une tornade de printemps tomberait folle amoureuse de l'hiver en personne ?

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Une profonde, cuisante et indéfectible solitude, voilà ce qu'il traduisait. Un signe quasi imperceptible, comme une marque indélébile qui se révélait uniquement aux véritables unités. Ceux qui avaient accepté leur sort et qui refusaient d'ouvrir leurs portes à la plus infime des étincelles d'espoir, retranchés à jamais derrière de hautes et indestructibles murailles...

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