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Chapitre 1 : Incipit
Colin terminait sa toilette. Il s'était enveloppé, au sortir du bain, d'une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l'étagère, de verre, le vaporisateur et pulvérisa l'huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture d'abricots. Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s'en approcha pour vérifier l'état de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la serviette qui lui ceignait les reins et passa l'un des coins entre ses doigts de pied pour absorber les dernières traces d'humidité.
Dans la glace, on pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen. Il avait la tête ronde, les oreilles petites, le nez droit, le teint doré. Il souriait souvent, d'un sourire de bébé, et, à force, cela lui avait fait venir une fossette au menton. Il était assez grand, mince, avec de longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles et joyeusement aux garçons. Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait.
Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de gré cérame jaune clair, était en pente et orientait l'eau vers un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de l'étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, ce dernier avait changé son bureau de pièce. Maintenant, l'eau tombait sur son garde-manger.
Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de roussette et revêtit un élégant costume d'intérieur. Son pantalon était de velours à côtes vert d'eau très profonde et son veston de calmande noisette. Il accrocha la serviette au séchoir, posa le tapis de bain sur le bord de la baignoire et le saupoudra de gros sel afin qu'il dégorgeât toute l'eau contenue. Le tapis se mit à baver en faisant des grappes de petites bulles savonneuses.
[...]
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Avant-propos
Dans la vie, l'essentiel est de porter sur tout des jugements a priori. Il apparaît en effet que les masses ont tort, et les individus toujours raison. Il faut se garder d'en déduire des règles de conduite : elles ne doivent pas avoir besoin d'être formulées pour qu'on les suive. Il y a seulement deux choses : c'est l'amour, de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de La Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car la reste est laid, et les quelques pages de démonstration qui suivent tire toute leur force du fait que l'histoire est entièrement vraie, puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion. On le voit, c'est un procédé avouable, s'il en fut.
La Nouvelle-Orléans.
10 mars 1946.
Afficher en entierIl se rapprocha d'elle et la prit près de lui. Il embrassait ses pauvres yeux affolés et sentait son coeur battre à coups sourds et lents dans sa poitrine.
- On va te guérir, dit-il. Ce que je voulais dire, c'est qu'il ne pouvait rien arriver de pire que de te voir malade, quelle que soit la maladie.
_ J'ai peur ... dit Chloé. Il m'opéra sûrement.
- Non , dit Colin. Tu seras guérie avant.
- Qu'est ce qu'elle a ? répéta Nicolas. Je peux faire quelque chose ?
Lui aussi avait l'air très malheureux. Son aplomb ordinaire s'était fortement ramolli.
- Ma Chloé ... dit Colin. Calme toi.
- C'est sûr, dit Nicolas. Elle sera guérie très vite.
Spoiler(cliquez pour révéler)- Ce nénuphar, dit Colin. Où a-t-elle pu attraper ça ?
- Elle a un nénuphar ? demanda Nicolas, incrédule.
- Dans le poumon droit, dit Colin. Le professeur croyait au début que c'était simplement quelque chose d'animal. Mais c'est ça. On l'a vu sur l'écran. Il est déjà assez grand, mais enfin, on doit pouvoir en venir à bout.
Afficher en entierLe vent se frayait un chemin parmi les feuilles et ressortait des arbres tout chargé d'odeurs de bourgeons et de fleurs. Les gens marchaient un peu plus haut et respiraient plus fort car il y avait de l'air en abondance. Le soleil dépliait lentement ses rayons et les hasardait avec précaution dans des endroits où il ne pouvait atteindre directement, les recourbant à angles arrondis et onctueux, lais se heurtait à des choses très noires et les retirait vite, d'un mouvement nerveux et précis de poulpe doré.
Afficher en entier« Je t’ai déjà dit que je t’aimais bien en gros et en détail.
– Alors, détaille », dit Chloé, en se laissant aller dans les bras de Colin, câline comme une couleuvre.
Afficher en entierLes gens perdent leur temps à vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler.
Afficher en entierLa rue menait à Chloé.
« Chloé, vos lèvres sont douces. Vous avez un teint de fruit. Vos yeux voient comme il faut voir et votre corps me fait chaud… »
Des billes de verre roulaient dans la rue et des enfants venaient derrière.
« Il me faudra des mois, des mois pour que je me rassasie des baisers à vous donner. Il faudra des ans de mois pour épuiser les baisers que je veux poser sur vous, sur vos mains, sur vos cheveux, sur vos yeux, sur votre cou… »
Il y eut trois petites filles ; elles chantaient une ronde toute ronde et la dansaient en triangle.
« Chloé, je voudrais sentir vos seins sur ma poitrine, mes deux mains croisées sur vous, vos bras autour de mon cou, votre tête parfumée dans le creux de mon épaule, et votre peau palpitante, et l’odeur qui vient de vous… »
Afficher en entier-Mais, Nicolas, dit Colin, j’ai tant envie d’être amoureux…
Afficher en entierOn se rappelle beaucoup mieux les bons moments, alors à quoi servent les mauvais?
Afficher en entierMais on perd tellement de temps à faire des choses qui s'usent.
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